Les femmes ont faim !

No 041 - oct. / nov. 2011

Féminisme

Les femmes ont faim !

Entrevue avec une collective d’action directe

Pinote

Les Femmes ont faim ! est une nébuleuse plutôt qu’un groupe formel. Adeptes de la diversité des tactiques, elles se déploient dans des initiatives à géométrie variable, auxquelles chacune s’associe ou non au gré des envies. Collective de discussion, d’action et de création, elles traquent la manière dont le petit sexisme ordinaire se manifeste dans l’intimité, les érotismes et les sexualités, puis créent des conditions de transformation, le tout dans un contexte sexe-positif assaisonné d’une bonne pincée d’humour grinçant. «  Dénoncer ce qui ne va pas est nécessaire. Pendant que des sœurs s’en occupent, nous on s’active à faire exister tout de suite ce qu’on veut. Ce sont des façons différentes mais complémentaires de travailler à la construction de relations égalitaires  », disent-elles.

Elles ont commis un zine, Les Plottes con-plottent, dont le plus récent numéro a paru sous forme d’un DVD de pornographie féministe/
queer, donné des conférences sur la post-porn, publié un essai anticapitaliste et antipatriarcal à propos du travail du sexe, donné une série de cours à l’UPOP concernant le désir, organisé une projection du film Clitoris 101 sur les murs d’une bâtisse du centre-ville de Montréal, fomenté une campagne d’affichage se moquant des compagnies de bière et de leurs publicités (« Sois autonome, branle-toi tout seul »).

Bref, les Plottes n’ont pas froid aux yeux et pas la langue dans leur poche. Leur dernier coup : une campagne de distribution de cartes postales signées Intimacy Watch Squad. Sur fond de gros rock, moto, chaînes et manteaux de cuir, tout droit débarquées d’un film d’action, elles s’invitent chez nous, passant par la boîte aux lettres, et viennent s’en prendre au sexisme quotidien. Voilà enfin un outil pour se mêler des affaires des autres. Parce que le sexisme, dans le privé comme dans le public, ça empoisonne. 

À bâbord ! : D’où est venue cette idée de campagne ?

Les Femmes ont faim !  : Les Plottes font beaucoup de militantisme de proximité ! Nous intéressant à l’intimité et à la sexualité, on a, avec les années, recueilli énormément de confidences. Il est saisissant de constater à quel point les femmes désignent les mêmes enjeux, les mêmes problèmes, parfois avec les mêmes mots. Pourtant, il est tellement difficile de faire changer les choses dans nos relations affectives, parce que ça s’enracine dans des patrons de socialisation genrés et inégalitaires. D’autant plus que, bizarrement, dès que ça touche l’intime, on ne reconnaît plus le sexisme, ce n’est plus politique. On se rabat sur des explications psychologisantes, s’en remettant à tel trait de personnalité ou à telle circonstance passagère. Et, oh surprise, les conclusions sont bien souvent que les hommes sont indépendants et que les femmes sont donc folles ! Comme dans bien des luttes d’émancipation, le fardeau de la preuve repose sur la personne désavantagée dans le déséquilibre de pouvoir. Confronter son amoureux en lui disant : « Mon amour, transformons cette dynamique parce que, vois-tu, elle m’opprime et oui, au bout d’un certain temps, je vais péter un plomb », n’est pas souvent perçu comme l’invitation la plus sexy au monde. Et quand en face, ça culpabilise, ça résiste, ça paralyse ou que ça croit que ça ne le concerne pas, au lieu d’être un tantinet courageux et de se mettre au boulot, c’est très douloureux. On appelle ça : le Combeurk. Comme tout ça se passe dans l’intimité, les femmes qui s’y coltinent sont souvent isolées. Oh, il y a toujours des oreilles compatissantes avec qui il est possible de raconter, d’analyser, de s’introspecter, mais on reste incroyablement dépourvues pour se soutenir directement. Intervenir dans les affaires des autres, c’est malpoli ! Le Intimacy Watch Squad, lui, s’en mêle et propose un outil de solidarité active.

AB !  : Pourquoi avoir choisi la carte postale ?

FOF : Parce que c’est léger et que ça s’envoie facilement. Les femmes, qui sont socialisées à se sentir responsables du bien-être affectif, passent beaucoup de temps à réfléchir aux dynamiques relationnelles et à parfaire leur expertise. Avec la carte postale, on les invite à agir vite, à prendre acte de la dimension sociale, politique, partagée de ce qui est vécu. Concrètement, à agir en soutien à une amie ou à demander de le faire dans le but de rendre visible le commun des patrons de comportement. Et puis, confronter le sexisme, tous les jours, c’est fatigant. Parfois, on a envie de réagir sans avoir à y laisser des énergies vitales. La carte postale, c’est un répit offert aux sœurs de lutte, ça permet d’agir sans se fatiguer. On s’est aussi bien amusées à faire l’image ! Détourner une iconographie inspirée d’Hollywood est une petite vengeance qui fait plaisir. Le gang en cuir exprime une vraie colère, lance une vraie injonction  : on en a marre, on veut que ça bouge ! Mais les Plottes aiment rire et l’humour noir est leur préféré. Le côté humoristique de l’image dit que la guerre frontale nous ennuie, que le mieux et le plus vite on transformera les dynamiques relationnelles, plus grand sera le plaisir, plus enrichissantes seront nos relations et meilleures seront les baises.

AB ! : Lors du lancement de la campagne, vous avez invité les personnes présentes à écrire des cartes. Quel genre de message y a-t-on retrouvé ?

FOF : Des femmes nous ont souvent dit qu’il avait fallu que leur message vienne d’ailleurs pour que ce qu’elles se tuaient à répéter depuis longtemps soit enfin entendu. C’est passablement insultant, vous en conviendrez ! Les cartes postales permettent de multiplier ces troisièmes personnes qui, au lieu de tomber par hasard, peuvent être des con-plisses assumées. On a vu des messages pointer des comportements révélés après une naissance, en appeler à l’apprentissage de stratégies de résolution de conflits, désigner le discrédit qui s’abat sur les femmes en colère ou qui, devenues excédées par un sexisme refusant de se nommer, vivent des émotions intenses, démasquer le paternalisme déguisé en assurance, etc.


AB ! : Quel impact espérez-vous ?

FOF : Que les femmes s’en emparent, qu’elles osent soutenir leurs amies en plein Combeurk et que ces dernières osent demander et accepter l’action, que les hommes visés reçoivent le message, qu’ils laissent tomber les comportements défensifs en réalisant que personne n’échappe aux éducations différenciées selon les sexes, que le sexisme est embusqué partout et que, pour qu’on atteigne l’égalité, ils doivent prendre leurs responsabilités et bouger.

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