Culture
Droit d’auteur ? Oubliez l’auteur
L’automne 2011 s’annonce chaud à Ottawa pour le secteur culturel. Outre l’impact que la lutte au déficit ne manquera pas d’avoir sur les arts et la culture en général, on assistera vraisemblablement dès la rentrée parlementaire au dépôt d’un nouveau projet de loi sur la Loi sur le droit d’auteur.
Le projet de loi C-32 présenté par le gouvernement conservateur en juin 2010 est mort au feuilleton lors du déclenchement des élections en mars dernier et s’il y a unanimité sur un point, c’est qu’il est plus que temps de moderniser une loi en retard de près de 15 ans sur nos engagements internationaux et sur l’évolution technologique qui facilite la reproduction des œuvres.
Le Canada subit depuis longtemps les pressions des États-Unis et de l’Europe à ce sujet et la réforme est un des éléments-clés des négociations commerciales avec l’Union européenne que le gouvernement conservateur de Stephen Harper entend conclure d’ici la première moitié de 2012. Assistera-t-on au retour de la copie conforme de C-32 qui avait rallié contre lui une coalition sans précédent d’organismes culturels à travers tout le pays [1] ?
L’ABC du droit d’auteur
Dans un excellent article publié dans la Revue Liaison au début de l’été, Aline Côté définit le droit d’auteur comme « un simple droit de propriété, de nature économique et morale, limité par l’intérêt public, qui évolue avec les arts et les exploitations des œuvres dans un contexte de mondialisation [2] ». Comme l’explique l’auteure, rien de plus simple que les principes du droit d’auteur. Si vous créez quelque chose d’original en dehors du cadre d’un emploi rémunéré, l’œuvre vous appartient en exclusivité : à vous de décider de la donner, de la vendre ou d’autoriser quelqu’un d’autre à le faire pour vous.
À ce droit économique fondamental s’est ajouté avec le temps un droit moral, c’est à dire que le nom du créateur doit être associé en tout temps à sa création, laquelle ne peut être dénaturée ou associée sans sa permission à des produits ou messages qui en dénatureraient la portée ou la signification.
Ce droit de propriété est cependant limité par l’intérêt public : la première loi sur le droit d’auteur (copyright) adoptée en Angleterre en 1710 en limitait l’exclusivité afin de ne pas nuire au développement et à la dissémination du savoir. Toute loi sur le droit d’auteur cherche donc à établir un équilibre entre le droit de propriété exclusive de l’auteur et l’intérêt public, équilibre qui doit trouver place dans les limites et exceptions stipulées par le législateur.
Au fil des années et des changements technologiques, ces droits fondamentaux ont été articulés selon les disciplines de façon variable d’un pays à l’autre. Dans le cas de la musique par exemple, l’impossibilité de contrôler la copie sur cassettes ou sur CD vierges a mené le Canada à adopter en 1997 un régime de copie privée qui impose une redevance sur ces supports technologiques et fournit aux artistes et créateurs une rémunération pour la reproduction de leurs œuvres.
Les mérites et failles du projet de loi C-32
Tout indique que le gouvernement a l’intention de déposer dès septembre un projet de loi reprenant pour l’essentiel les dispositions de C-32, lequel contenait le nombre record de 40 exceptions. Si ces exceptions au libellé souvent vague sont maintenues, le Parlement canadien établira de fait un déséquilibre en expropriant sans compensation les droits économiques des artistes et des créateurs au profit des consommateurs publics et privés.
Il y avait certes des aspects positifs au projet de loi C-32, dont plusieurs clauses ont été accueillies avec enthousiasme par le secteur corporatif, celui du divertissement, des jeux électroniques et des multinationales de la musique et du cinéma. Certaines de ses dispositions ont également été applaudies par les artistes, les créateurs et les travailleurs culturels en général : droit de distribution, droits moraux et de reproduction pour les interprètes, extension de la durée de protection des œuvres musicales et reconnaissance de droits pour les photographes.
Mais le projet de loi C-32 ne reconnaissait pas l’existence d’au moins deux marchés bien différents l’un de l’autre et proposait les mêmes solutions pour les deux. Les protagonistes de cette loi ont fait valoir qu’elle donnait aux artistes et créateurs le recours à des verrous numériques et aux tribunaux pour faire respecter leurs droits de propriété intellectuelle, les verrous l’emportant sur les exceptions accordées aux usagers – ce qui exaspère entre autres le monde de l’éducation, pour lequel le projet de loi élargissait les exceptions sous le chapitre de l’utilisation équitable.
Malheureusement, ce qui fait l’affaire des gros joueurs et des multinationales et, dans une certaine mesure, de nos parternaires commerciaux, ne correspond pas aux besoins et aux réalités de la majorité des musiciens, auteurs, acteurs, artistes en arts visuels et autres créateurs culturels. Ils seraient injustement privés de sources de revenu existantes – on estime qu’au moins 126 millions de dollars sont à risque – et de la possibilité de développer de nouveaux modèles d’affaire pour exploiter les marchés émergents.
L’ajout d’une longue liste d’exceptions mal définies légitimant l’utilisation des œuvres sans compensation n’est certainement pas la solution dont rêve la majorité au sein du secteur culturel. Pour plusieurs, la loi C-32 constituait une attaque systématique contre la gestion collective des droits.
Au cours des 20 dernières années, nos artistes ont établi diverses sociétés de gestion dont la responsabilité est de percevoir et de distribuer des redevances aux créateurs et de défendre leurs intérêts devant les organismes de réglementation et les tribunaux. Ces sociétés de gestion facilitent aux consommateurs l’accès aux œuvres et fournissent aux créateurs un moyen efficace de percevoir une juste compensation pour leur travail, remplaçant ainsi une multitude de transactions relativement modestes entre titulaires de droits et consommateurs, au profit des uns et des autres.
Nos artistes et créateurs ne veulent pas cadenasser leurs œuvres : ils veulent au contraire les rendre facilement accessibles au plus grand nombre, tant au pays qu’à l’étranger, en échange d’une juste compensation. Au moins dans le cas de la musique et du livre, les verrous de protection se sont avérés inefficaces ou inappropriés
Quarante-deux pour cent des artistes canadiens sont des travailleurs autonomes qui n’ont pas les moyens de surveiller si les usagers d’Internet et des services sans fil volent leurs œuvres. Ils n’ont ni le temps ni les ressources financières pour monter des recours juridiques compliqués contre ceux qui violent leurs droits de propriété, que cela soit pour des usages commerciaux ou non. Les larges exceptions inscrites dans C-32 envoient comme message aux usagers qu’ils peuvent violer les droits des auteurs tant et aussi longtemps que personne n’intente contre eux des poursuites judiciaires pour des dommages-intérêts réduits au point qu’ils auraient l’effet pervers de favoriser les infractions volontaires.
En supposant que certains artistes et créateurs puissent défendre leurs droits sans l’aide de sociétés de gestion affaiblies, ils passeront au mieux des années devant les tribunaux. On peut penser ici au cas de Claude Robinson…
C’est donc avec une appréhension compréhensible que les milieux culturels attendent de voir le nouveau projet de loi que le gouvernement Harper entend faire adopter d’ici décembre. On ne peut qu’espérer que l’approche sera plus équitable à l’égard des auteurs qu’elle ne l’était dans le projet de loi C-32. Sinon l’automne 2011 sera aussi chaud que l’été.
[1] Voir la Déclaration commune des industries culturelles canadiennes sur le projet de loi C-32, http://www.ccarts.ca/fr/advocacy/bulletins/2011/documents/CopyrightStatement_FRE_JAN31.pdf
[2] Aline Côté, « Le droit d’auteur : un essai de vulgarisation », Revue Liaison, été 2011.