Dossier : Contre l’austérité, (…)

Dossier : Contre l’austérité, luttes syndicales et populaires

L’austérité comme tendance internationale

Claude Vaillancourt

L’austérité est devenue le principal outil du prêt-à-penser économique. Devant tout problème relié à la dette publique, ou au budget de façon plus générale, il n’existe plus qu’une seule solution : les compressions. Qu’elles donnent ou non des résultats n’a pas vraiment d’importance : « Je coupe, donc je suis », semblent dire les gouvernements dans un nombre élevé de pays.

Les mesures adoptées sont les mêmes, qu’elles proviennent d’un pays industrialisé ou en développement. Par exemple, en 2012, 98 pays ont réduit la masse salariale, principalement dans les services publics ; 86 pays ont entrepris une réforme des retraites ; 80 pays ont affaibli leur filet de protection sociale ; 94 pays ont haussé leurs taxes à la consommation. Au total, les mesures d’austérité budgétaires affectaient 119 pays et étaient en constante progression.

Ces chiffres proviennent d’une étude d’Isabel Ortiz et Matthew Cummins, « L’ère de l’austérité, un examen des dépenses publiques et des mesures d’ajustement dans 181 pays ». Les auteur·e·s constatent entre autres que les contractions les plus marquées se trouvent dans les pays en développement. Dans tous les cas, ces mesures touchent directement les populations qui doivent payer, selon les auteur·e·s, pour les dommages provoqués par la crise bancaire des années 2007-2008 : « Bref, des millions de ménages continuent de supporter les coûts d’une “reprise” qui les a largement exclus. »

Ces mesures ont pourtant montré à de multiples reprises à quel point elles demeurent inefficaces. Les plans d’ajustement structurel, équivalents de ce qu’on nomme aujourd’hui « mesures d’austérité », imposés aux pays du Sud endettés pendant les années 1980-1990, ont créé de véritables catastrophes humanitaires en privant par exemple les populations de soins de santé et d’une éducation accessible. Dans Quand l’austérité tue, David Stuckler et Sanjay Baju [1] énumèrent les conséquences tragiques de ces mesures sur la santé : épidémies, alcoolisme et toxicomanie, suicides, etc. Rien de cela cependant ne s’inscrit dans les colonnes de chiffres des comptables, ce qui permet la tragique perpétuation de ces mesures.

Le refus de penser

Pourtant, nous n’en sommes pas à nos premières crises financières et à différentes époques, on a résolu les difficultés économiques de bien d’autres façons. Par une inflation pas toujours bien contrôlée, il est vrai, par des dévaluations de la monnaie. La relance économique a souvent été assurée par d’importants investissements publics, comme pendant les Trente Glorieuses. La croissance économique fait fondre la dette sans que l’on ait à la rembourser. Les États peuvent aussi hausser leurs revenus, par un impôt progressif, en taxant davantage les entreprises ou en imposant de nouveaux types de taxes, comme celle sur les transactions financières. Aucune de ces mesures n’est parfaite et toutes demandent des sacrifices. Ce qui étonne aujourd’hui, c’est qu’elles sont rejetées sans le moindre débat.

Cela se vérifie dans les départements d’économie, où seule l’économie néoclassique est enseignée – celle qui mène à adopter des mesures d’austérité –, ainsi que le dénoncent, parmi plusieurs autres autres, Sylvie Morel et Laura Raim [2]. Le cas de la Grèce est aussi particulièrement tragique. Après cinq années de compressions qui ont plongé le pays dans la pauvreté et fait accroître la dette de 120 % du PIB à 175 %, et malgré un rapport du Fonds monétaire international démontrant que la Grèce ne pourra jamais payer sa dette, la solution imposée à ce pays pour venir à bout de ses difficultés est de lui imposer encore plus d’austérité.

L’élite contre les peuples

Pourquoi donc les gouvernements mettent-ils tant d’acharnement à appliquer un modèle qui ne marche pas pour leur population ? C’est qu’il fonctionne en vérité très bien pour les élites. Il permet à l’entreprise privée d’occuper une place toujours plus grande dans le très lucratif marché des services, qui se privatise progressivement et inexorablement. Les monopoles d’État disparaissent peu à peu et les grands entrepreneurs peuvent acheter à bon marché des actifs gouvernementaux. Les États affaiblis, sous-financés, ne parviennent plus à réglementer et laissent les entreprises plus libres que jamais. Et les banquiers et courtiers lancent sur les marchés des produits financiers permettant de spéculer sur la dette des pays et d’amasser des fortunes.

L’austérité est si généralement appliquée, de gré ou de force, qu’il devient difficile de trouver d’autres modèles. Ortiz et Cummins donnent cependant comme exemples la Thaïlande, l’Équateur et l’Islande. Le premier pays a haussé considérablement le salaire minimum et le prix du riz pour créer un « cycle vertueux » de croissance. Les Islandais ont refusé de renflouer leurs banques en crise et ont repoussé les pertes sur les détenteurs d’obligations plutôt que sur eux-mêmes. L’Équateur a cessé de payer une dette privée, qualifiée d’illégitime, qu’on avait transformée en dette publique. Le montant du service de la dette a alors diminué de façon drastique.

Aller à contre-courant reste cependant très difficile. Surtout quand un gouvernement comme le nôtre devient l’un des plus grands zéla­teurs au monde de ces mesures, comme l’a souligné l’économiste Pierre Fortin [3]. Il faut néanmoins se rappeler constamment que jamais ces mesures n’ont donné de résultats convaincants, dans quelque pays que ce soit, qu’elles ont en fait multiplié la misère et les drames.


[1David Stuckler et Sanjay Baju, Quand l’austérité tue, Autrement, 2015.

[2Dans Bernard Élie et Claude Vaillancourt, L’économie toxique, M Éditeur, 2015 et Laura Raim, « Police de la pensée économique à l’Université », Le Monde diplomatique, juillet 2015.

[3Dans « Le Québec, un champion de l’austérité », L’Actualité, 11 février 2015.

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