Bibliophares et ciment en Gaspésie

No 073 - février / mars 2018

Coup d’oeil

Bibliophares et ciment en Gaspésie

Gérald McKenzie

Sur le comptoir, près des navets et d’un rouleau de baloney, The Gaspé SPEQ. Le journal anglophone régional publie un article sur Ciment McInnis de Gascon Port-Daniel. Lu vite, du coin de l’œil, le texte du journaliste Gilles Gagné en sortant de l’épicerie.

La Caisse de dépôt se questionne sur ses investissements. La préfète de la MRC, Nadia Minassian, demande elle-même qu’on déploie des moyens pour réduire l’empreinte environnementale de ce plant de ciment. On parle de 1,8 million de tonnes de gaz à effet de serre, ce qui en fait le plus fort pollueur au Québec. Faut ben être les plus forts quelque part.

Des montagnes d’argent public investies entre autres pour couvrir des coûts imprévus (à hauteur de 400 millions). La Caisse de dépôt est majoritaire pour l’instant. Beaudier, consortium appartenant à la famille Beaudoin de Bombardier, est partenaire à 45%. Le privé va-t-il ramasser le tout une fois le marché redevenu favorable au ciment (ce qui semblerait être le cas présentement) ? La Caisse de dépôt va-t-elle vendre et récupérer ses billes ? On parle de 153 emplois, y compris ceux chez les sous-traitants.

En sortant du magasin, on tombe sur un petit phare. Dans les villages, à la porte des magasins généraux, on trouve des bibliophares. Sur les quelques étagères, des livres que des citoyen·ne·s offrent en partage. Des bestsellers surtout, des romans ou des revues populaires parfois. En Gaspésie, ce sont les MRC qui les ont installés et des bénévoles les entretiennent. Jimmy ouvre les petites portes et enlève la neige qui s’est introduite entre les livres. J’entrevois L’amant sans domicile fixe de Fruttero et Lucentini. Et un livre écorné, aux pages mouillées, d’il y a bien longtemps, L’avortement du Dr Serge Mongeau et de Renée Cloutier.

Publié en 1968, L’avortement fait scandale au moment où le Québec sort de l’hégémonie catholique. Ça fait donc 50 ans que ce livre est paru. L’ouvrage de Mongeau et Cloutier, enfoui sous la neige dans un bibliophare, sur la pointe de la péninsule gaspésienne, en temps de poudrerie, reste un document extraordinaire.

J’y trouve cette perle illustrant les pratiques médicales (sous haute surveillance religieuse) imposées aux femmes, en Gaspésie entre autres, jusque dans les années 1970 : les notes de cours de l’illustre Père Marcel Marcotte aux futurs médecins sur leurs obligations morales : « Le médecin ne doit jamais […] conseiller les pratiques anticonceptionnelles et [il doit] instruire ses patientes sur les dangers de l’onanisme. Le médecin est tenu “subgravi” d’user de son influence pour détourner de l’onanisme les époux qui inclinent à le pratiquer. »

On se résigne difficilement au seul accès électronique aux livres. Les bibliophares, c’est bien, mais… dans quel état sont les bibliothèques dans les régions éloignées ? L’éducation émancipatrice, sans un accès aux livres dans les bibliothèques publiques, risque d’être mitigée.

Comme quoi aller chercher une pinte de lait au village peut réserver des surprises. En nous faisant passer des Éditions du jour de 1968 aux immenses silos de Ciment McInnis dans la Baie des Chaleurs au mois de janvier 2018.

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