Dossier : Santé ; État d’urgence
Coupes en santé mentale
Lourds prix à payer pour les organismes de femmes !
Une femme souffrant de lourds problèmes de santé mentale bouleverse l’activité de groupe d’un organisme communautaire. Une autre, sous l’effet d’une forte médication, peine à suivre les propos de l’animatrice. Normalement, ces femmes devraient être suivies dans le réseau de la santé. Or, ce n’est souvent pas le cas et ce genre de scène est devenu monnaie courante dans les groupes de femmes du Québec. C’est ce que constate le Réseau québécois d’action pour la santé des femmes (RQASF) dans la recherche Santé mentale au Québec : les organismes communautaires de femmes à la croisée des chemins.
Soixante-quinze organismes communautaires de femmes à travers tout le Québec y ont pris part en 2010, répondant à des questionnaires postaux ou se prêtant à des entrevues individuelles et de groupes. Maisons d’hébergement, centres de femmes… quel que soit le type d’organisme, les travailleuses accueillent plus de personnes en détresse ou vivant avec des problèmes de santé mentale qu’auparavant. Le travail au sein des groupes s’en trouve affecté.
Sonnons l’alarme !
Au cours des dernières années, les coupes budgétaires dans le système de santé ont eu pour effet de réduire l’accès aux services en santé mentale. Il faut patienter des mois avant de pouvoir consulter un psychologue, et le nombre limité de rencontres ne suffit pas toujours à répondre aux besoins des personnes en détresse. De plus, comment espérer accéder aux services en santé mentale lorsque les médecins de famille, qui en constituent souvent la porte d’entrée, ne sont pas disponibles ? Parce qu’elles ne peuvent recourir à des professionnels du privé, les personnes les plus démunies paient chèrement ces compressions.
Par ricochet, les organismes communautaires de femmes accueillent de plus en plus de personnes en situation de crise, vivant des problèmes psychiatriques, sous l’effet d’une médication excessive ou mal contrôlée, aux prises avec des problèmes de toxicomanie et de consommation d’alcool, etc. Selon les travailleuses interrogées, faute de ressources suffisantes, le personnel du réseau de la santé pratique le dumping, c’est-à-dire qu’il oriente trop rapidement vers les organismes communautaires des personnes qui nécessitent des soins ou des services professionnels.
Pourtant, aucun des groupes ayant participé à la recherche n’est spécialisé en santé mentale. La plupart d’entre eux ont pour mission l’amélioration des conditions de vie des femmes, notamment par des activités de mobilisation, et pour objectif de favoriser leur autonomie, grâce à des ateliers sur l’estime de soi ou des activités d’éducation populaire, par exemple. Ni infirmières, ni psychologues ou psychiatres, les travailleuses de centres de femmes ne peuvent ni ne souhaitent remplacer le personnel professionnel de la santé.
Le dumping et l’alourdissement des problèmes de santé mentale des personnes ont donc des répercussions importantes sur la vie de ces centres : il arrive de plus en plus souvent que des femmes souffrant de problèmes importants perturbent les activités offertes à l’ensemble des participantes. Aussi, les groupes ont de la difficulté à poursuivre leur travail essentiel de sensibilisation et de revendication auprès des gouvernements.
Et les travailleuses dans tout cela ? Parler de surcharge de travail est un euphémisme. Depuis plusieurs années, leurs tâches se multiplient et se complexifient. Elles gèrent des situations de crise, effectuent de plus en plus de suivis individuels et se tiennent à jour sur un nombre croissant de problématiques. Elles réorientent les femmes vers les ressources adéquates, les accompagnent à l’hôpital, leur viennent en aide dans leurs démarches juridiques et consacrent beaucoup d’énergie à répondre à des besoins de simple survie (nourriture, logement). Dans ce contexte, comment s’étonner qu’elles ressentent de plus en plus d’impuissance, qu’elles vivent de l’épuisement physique et psychologique ?
Agissons !
Que faire pour diminuer le dumping et ses effets pervers ? Il est indispensable de permettre aux groupes de femmes et aux acteurs du réseau de la santé de se rencontrer afin de clarifier les rôles des uns et des autres. Il est aussi impératif que le Québec se dote d’une politique en santé mentale explicitement engagée en faveur des personnes qui en ont besoin, dont de nombreuses femmes de toutes conditions et de toutes origines. Le « guichet unique », dont l’objectif était de faciliter l’accès et la continuité des services pour les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale, ne donne pas pour l’instant les résultats escomptés. Faut-il le renforcer ou le réformer ? Pour toutes et tous, l’accès à une aide de première ligne en santé mentale est essentiel et doit être amélioré, et ce, dans toutes les régions.