Les contradictions politiques de la pandémie

No 087 - mars 2021

Éditorial du numéro 87

Les contradictions politiques de la pandémie

Le Collectif de la revue À bâbord !

L’actuelle pandémie nous met face à des situations politiques complexes auxquelles il n’existe aucune solution évidente. De surcroît, il nous semble parfois que nous sommes pris·e·s entre des avenues tout aussi obstruées les unes que les autres : le défi, alors, est d’imaginer des voies nouvelles permettant d’éviter les impasses.

Par exemple, dans son approche de la crise, le gouvernement Legault allie depuis des mois centralisation autoritaire et rejet de la responsabilité sur les individus. Ainsi, on nous a habitué·e·s à une forte concentration des pouvoirs et des décisions autour du premier ministre, et à un manque criant de transparence. En témoignent notamment la pauvreté des explications scientifiques relativement aux décisions de santé publique, ou encore la présence famélique d’images filmées dans les hôpitaux.

En même temps, sur le ton de la bienveillance paternaliste, le gouvernement Legault nous somme, collectivement et individuellement, de faire notre part dans la lutte contre le virus : cela veut dire nous plier docilement au couvre-feu imposé pendant de nombreuses semaines, nous priver de la présence de nos proches, restreindre et calculer minutieusement nos déplacements. Ces mesures ne sont certes pas sans efficacité, mais elles reposent sur une dynamique disciplinaire de restrictions des droits et libertés individuelles.

Or, plusieurs mesures, dépassant aussi bien les décrets arbitraires à la petite semaine que la responsabilisation individuelle, pourraient plutôt être mises en place : ventilation optimale des écoles et des établissements de santé, amélioration des conditions de travail pour le personnel de ces mêmes institutions, etc.

Dans un tel contexte, nous nous retrouvons déchiré·e·s entre la double nécessité d’être critiques des décisions gouvernementales tout en reconnaissant l’importance de mesures sérieuses pour lutter contre la pandémie. La gestion de crise du gouvernement cumule ratés et bévues. L’aveuglement quant à la contagion par aérosols, les retards dans l’usage des tests rapides, ainsi que les déboires du traçage mettent en lumière une sérieuse désorganisation.

Dès lors, il n’est pas étonnant que fleurisse le cynisme, voire le complotisme. L’incurie de la santé publique et les atermoiements des gouvernements – couplés à la désinformation – contribuent à désolidariser la population. Pendant ce temps, le virus court toujours. Et pourtant, blâmer les errements du pouvoir ne devrait pas conduire à nier la sévérité de la pandémie, ni à refuser d’agir pour en venir à bout – tout au contraire.

Une chose est sûre : des mesures coercitives doivent être imposées si nous voulons sortir de cette tourmente. Cependant, ces mesures auraient pu être moins répressives, plus efficaces et auraient été mieux reçues si l’on avait appliqué des principes de précaution et si elles avaient été accompagnées d’une divulgation des données probantes ainsi que d’une plus grande transparence face à l’incertitude qui accompagne cette crise sans précédent.

La crise sanitaire n’a pas mené à un effondrement social, mais elle n’a pas non plus catalysé des transformations positives pourtant plus urgentes que jamais. Quoique la vie n’ait rien de facile, l’organisation sociale tient généralement le coup. Cela est en grande partie lié à l’existence d’institutions capables d’assurer la prise en charge des besoins collectifs : système de santé public, réseaux communautaires tenaces, etc. Ces institutions sont dangereusement fragiles, mais elles n’existent pas moins, et nous leur devons beaucoup de notre résilience collective.

En même temps, cette société qui persiste n’est-elle pas aussi celle de la domination et de l’exploitation ? L’approche sécuritaire priorisée par le gouvernement pour contrôler la pandémie inquiète : ainsi, la police occupe une place croissante et multiplie les dérives (notre dossier, malheureusement, tombe à point). Et tandis que de nombreux secteurs de la vie sociale sont paralysés et plongent plusieurs dans le chômage, le travail accable les autres plus que jamais : les impératifs de performance auxquels nous sommes confronté·e·s sont loin d’avoir disparu, ne serait-ce que pour les travailleuse·eur·s des services publics et les travailleur·euse·s migrant·e·s.

Dans ce contexte, nous ne pouvons simplement célébrer les institutions publiques qui assurent la continuité de notre société. Il nous faut, en même temps, nous interroger sur l’état dans lequel elles se trouvent, sur les fins qu’elles servent réellement – et sur les transformations qui s’imposent.

Les contradictions dans lesquelles nous nous trouvons collectivement n’ont en vérité rien de bien neuf : ce sont celles des sociétés disciplinaires et néolibérales. Alors, peut-être que les voies d’avenir à emprunter ne sont pas si mystérieuses. Il s’agirait enfin de prêter l’oreille à des appels qui résonnent depuis longtemps et auxquels ceux et celles qui gouvernent s’obstinent à rester sourds : appels à faire primer la vie et la solidarité sur la discipline et l’économie du profit.

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