Mini-dossier : Jean-Marc Piotte (…)

Mini-dossier : Jean-Marc Piotte à 80 ans

Jean-Marc chez À bâbord !

Philippe de Grosbois

Le Jean-Marc Piotte que je rencontre à À bâbord ! en 2007 a vu neiger. Il se méfie des utopies toutes faites et englobantes. Non pas parce que le capitalisme ou la social-démocratie lui apparaissent comme des horizons indépassables, mais parce que les idéaux désincarnés, qu’ils soient chrétiens, marxistes ou autres, servent trop souvent de fondements à des formes de domination dans lesquelles les intellectuel·le·s se donnent le beau rôle. Pour Piotte, les principes abstraits éloignent de la réalité telle que vécue et sentie par les individus, réalité qui ne se laisse jamais pleinement saisir par la pensée.

De prime abord, comme militant·e de gauche radicale, on se voit parfois pris de court par cette posture. On peut être tenté d’y voir l’effet des années qui auraient rendu l’analyse timorée et étanché la soif de transformation. Les années à m’impliquer avec Jean-Marc m’ont plutôt montré le refus de cristalliser sa pensée et le souci de l’actualiser au fil de l’évolution de la société, notamment en demeurant humble et accueillant à l’égard des nouvelles idées et des sensibilités émergentes. C’est ainsi qu’on se surprend à le voir, lors de réunions du collectif, s’intéresser davantage à la mouvance queer et au militantisme hacker que d’autres pourtant plus jeunes que lui, même s’il ne manque pas d’exprimer ses réserves ou sa méfiance lorsqu’il en a, quitte à froisser au passage. La plupart du temps, ses remarques critiques se veulent surtout une invitation à l’échange.

Dans la revue, Jean-Marc était du camp de celles et ceux qui voulaient le moins de notes de bas de page possible. Ce running gag peut sembler anodin, mais il reflète un souci central chez lui : celui d’être clair et accessible au plus grand nombre. Pour Piotte, le rôle des intellectuel·le·s de gauche n’est pas de mystifier le peuple par de grandes envolées lyriques, ni de faire l’exégèse de manuscrits de Marx pour en tirer l’essence profonde. Il s’agit plutôt d’accompagner, d’interroger, d’offrir un éclairage pour les mouvements progressistes, mais aussi d’y puiser des constats qui nourrissent en retour la pensée.

Chez Piotte, la solidarité sociale ne vient jamais oblitérer l’émancipation individuelle ; au contraire, l’une et l’autre sont articulées. C’est cette facette libertaire qui l’amène à rejeter avec force les idées conservatrices, y compris lorsqu’elles sont véhiculées à gauche. « L’individualité ne conduit pas nécessairement à l’individualisme », écrit-il en 2013, inspiré par la créativité des manifestations du printemps 2012. La liberté individuelle n’est pas condamnée à être néolibérale, elle s’incarne aussi dans l’art, l’amour, le rapport au corps. Les luttes pour la reconnaissance, soutient-il, visent avant tout l’obtention de l’égalité.

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