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Chili. Participation des peuples autochtones au renouveau constitutionnel
La constitution chilienne sera bientôt réécrite par une assemblée constituante élue. La question de la place des peuples autochtones et des Afrodescendant·e·s dans cette assemblée, et donc dans la future constitution du pays, est cruciale.
Les résultats du référendum tenu le 25 octobre 2020 au Chili sont sans équivoque : 80 % des citoyennes et citoyens se sont prononcé·e·s en faveur de la rédaction d’une nouvelle constitution et pour que celle-ci soit élaborée par une assemblée constituante entièrement composée de membres élu·e·s. Ces résultats constituent une étape fondamentale pour en finir avec la constitution politique de 1980 imposée par la dictature d’Augusto Pinochet, qui, malgré de nombreuses réformes, continue de limiter l’exercice des droits humains et de la démocratie, créant plusieurs types d’exclusions et d’inégalités. C’est dans ce contexte que le peuple chilien aborde la question d’ajouter des sièges réservés aux peuples autochtones ainsi qu’un siège pour les Afrodescendant·e·s aux 155 sièges prévus pour l’assemblée constituante.
L’une des exclusions les plus graves générées par la constitution héritée de la dictature est celle des peuples autochtones, qui, au nombre de 2 158 792 personnes s’identifiant comme Autochtones, composent 12,8 % de la population. Malgré le fait que le Chili soit, après les pays andins et mésoaméricains, le pays des Amériques ayant la plus importante population autochtone, sa constitution nie leur existence et leurs droits. Ils sont ainsi englobés dans une conception moniste de la « nation » chilienne, et ce, malgré les nombreux projets visant leur reconnaissance qui ont été infructueusement soumis depuis 1990.
De plus, les droits des peuples autochtones sont restreints par des dispositions constitutionnelles qui permettent l’appropriation de leurs ressources naturelles, comme l’eau et les minéraux de leurs sous-sols, ainsi que par un cadre législatif qui limite l’application des normes internationales les concernant. Ainsi, bien que l’État chilien ait ratifié la Convention no 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT) [1] en 2008 et ait plus tard adhéré aux déclarations des Nations Unies et de l’Organisation des États américains sur les droits des peuples autochtones, les gouvernements de différentes orientations n’en ont pas respecté les dispositions, sur des questions aussi importantes que la politique des terres autochtones ainsi que le droit d’être consulté et le droit au consentement préalable, libre et informé.
Les restrictions imposées à l’exercice de ces droits dans un contexte de prolifération de projets miniers, forestiers, hydroélectriques ou d’élevage de saumons en territoires autochtones ont provoqué de nombreux conflits sociaux et environnementaux [2]. Les protestations autochtones ont été durement réprimées et ont entraîné de nombreuses poursuites judiciaires, ce que des organismes internationaux de droits humains ont condamné. À cela s’ajoute l’exclusion politique : en dépit de leur poids démographique, la représentation des peuples autochtones au Congrès national n’est que de 2,5 %. Finalement, l’exclusion économique des Autochtones s’observe dans les indices élevés de pauvreté : sept des dix communes les plus pauvres du Chili se trouvent en Araucanie, où vit la majorité des Mapuches.
La Constituante et les revendications autochtones
La révolte sociale est à l’origine de l’Accord pour la paix sociale et la nouvelle constitution [3] adopté le 15 novembre 2019 par les représentantes et représentants des partis politiques. Celui-ci établit la procédure et le calendrier en vue de l’élaboration d’un processus de Constituante devant faire l’objet d’un référendum.
Malgré les retards causés par la pandémie, le processus a renforcé l’activisme et a permis de mettre en lumière les revendications autochtones, particulièrement celles relatives à des réformes procédurales — le droit à une représentation proportionnelle à leur population dans l’élaboration de la nouvelle constitution — ainsi que celles portant sur la reconnaissance de leurs droits collectifs et sur la création d’un État plurinational.
Ces demandes ne sont pas nouvelles. En effet, au cours de la dernière décennie, le parti politique mapuche Wallmapuwen, le mouvement mapuche Identitad Territorial Lafkenche, l’Asociación de Municipalidades con Alcalde Mapuche (AMCAM) [4] et le Consejo de Pueblos Atacamenos [5] ont activement fait la promotion d’une assemblée constituante comme mécanisme d’élaboration d’une nouvelle constitution.
Les revendications pour la reconnaissance d’un État plurinational et des droits collectifs ont été exprimées avec force lors du processus participatif sur l’assemblée constituante et lors de la consultation autochtone menés en 2016 et 2017 sous le gouvernement de Michelle Bachelet. D’autres revendications portaient sur la reconnaissance des territoires autochtones, du droit à l’autodétermination des peuples et de leurs droits sur les ressources naturelles. En outre, on demandait l’inclusion dans la constitution de la Convention no ١٦٩ de l’OIT et de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Ces revendications s’inspiraient clairement des réformes constitutionnelles adoptées entre autres en Colombie (1991), en Équateur (2008) et en Bolivie (2009) au cours des dernières décennies, réformes pilotées par les peuples autochtones. Notons en particulier les pays qui ont adopté de nouvelles constitutions : la Colombie (1991), l’Équateur (2008) et la Bolivie (2009). Il va sans dire qu’il n’y a pas unanimité chez les peuples autochtones au Chili en ce qui a trait au processus et à leur participation.
Les lacunes dans la mise en œuvre des droits autochtones reconnus dans les constitutions politiques latino-américaines ont amené quelques organisations mapuches à exprimer leur scepticisme quant au processus de l’assemblée constituante. Ainsi, Aucan Huilcaman, werken (dirigeant) du Consejo de Todas las Tierras, faisait remarquer que : « Les déclarations de plurinationalité, telles que formulées dans les constitutions d’États comme l’Équateur et la Bolivie, n’ont rien donné pour les peuples autochtones, et n’ont absolument pas garanti la coexistence plurinationale. » De plus, soulignant que le droit à l’autodétermination des peuples autochtones est internationalement reconnu, il affirme que le peuple mapuche exercerait ce droit en créant une assemblée constituante mapuche.
D’autres organisations, comme la Coordinadora Arauco Malleco (CAM), ont mis en cause la participation des organisations du peuple mapuche dans le processus de constituante en cours, car elles le définissent comme un processus colonial visant à freiner la lutte pour l’autonomie des Mapuches. La CAM soutient que l’autonomie s’obtient par la lutte territoriale, en proposant des actions de force, principalement contre les entreprises forestières qui opèrent dans le Wallmapu (territoire mapuche).
Les sièges autochtones
Un nombre croissant d’organisations de tous les peuples autochtones du pays, y compris des organisations mapuches, font la promotion d’une réforme constitutionnelle dans le but d’obtenir des sièges réservés à leurs peuples et de rendre possible leur participation à l’assemblée constituante qui sera élue en avril 2021. Cela signifie que les parlementaires de divers partis doivent présenter à la Chambre des députés un projet de réforme constitutionnelle prévoyant des sièges réservés aux représentant·e·s des Premières Nations au sein de la constituante.
Plusieurs aspects sont à considérer en ce qui concerne les sièges à réserver pour les peuples autochtones. L’une de ces considérations est la proportionnalité entre ces sièges et la population s’étant identifiée comme autochtone lors du recensement de 2017. Cela signifierait ajouter 25 sièges réservés aux 155 prévus dans le projet approuvé lors du référendum. Par ailleurs, l’électorat autochtone devrait être défini sur la base de l’auto-identification. D’autres considérations concernent l’établissement de zones géographiques spéciales où seraient élu·e·s des représentants ou représentantes autochtones, la représentation proportionnelle de chaque peuple reconnu légalement (Loi 19.253), l’inclusion du peuple tribal de descendance africaine (reconnu en 2019 par la Loi 21.151), l’appui des candidatures par des organisations des peuples autochtones, qu’elles soient légales ou traditionnelles, une représentation autochtone indépendante de tout parti politique et, enfin, la parité entre les genres.
Le projet actuel de réforme constitutionnelle a été approuvé au début de 2020 par la Chambre des députés et, par la suite, soumis à la Commission sénatoriale sur la Constitution, la législation et la justice. En octobre 2020, la Commission a approuvé l’inclusion de 23 sièges additionnels réservés aux peuples autochtones. Toutefois, ce projet de réforme a été rejeté par le Sénat le 18 novembre. Son étude a été confiée à une commission mixte du Sénat et de la Chambre des députés et son approbation demeure très incertaine en raison de la composition du Congrès national. En outre, les partis du gouvernement ont annoncé qu’ils étaient seulement disposés à réserver 15 des 155 sièges prévus pour la composition l’assemblée constituante. Il reste à espérer qu’un siège supplémentaire sera créé pour une représentante ou un représentant du peuple d’ascendance africaine.
Le refus du gouvernement et de ses partisans d’approuver une réforme permettant une représentation proportionnelle des peuples autochtones au sein de l’assemblée constituante a été fermement contesté par une alliance transversale d’organisations autochtones du pays. Le 12 octobre, plus de 40 d’entre elles ont publié une lettre ouverte dénonçant l’absence de progrès au Congrès national quant aux sièges réservés et à la participation des peuples autochtones : « Nous croyons qu’il est temps que l’État du Chili soit à la hauteur des changements que la majorité des Chiliens et des Mapuches exigent de manière urgente afin de régler la dette historique envers les peuples autochtones au moyen de meilleurs et de plus importants mécanismes démocratiques de participation ». Selon ces organisations, le retard démontre « le manque de volonté » de progresser et de résoudre ces questions. Elles expriment également leur « incertitude » en ce qui a trait à la façon dont elles participeront à un tel processus historique. En conclusion, elles soulignent que le manque de clarté crée « un climat de méfiance, d’incrédulité et d’incertitude juridique. »
L’inclusion des peuples autochtones dans le processus de la constituante est fondée non seulement sur le droit à l’égalité et à la non-discrimination, le droit à la participation politique et le droit à l’autodétermination des peuples — droits que le Chili a l’obligation de respecter en vertu des traités internationaux de droits humains qu’il a ratifiés — mais aussi sur d’importants principes politiques. En effet, en plus d’être des instruments juridiques, les constitutions sont surtout des instruments politiques et sociaux qui permettent de traiter les conflits existant au sein d’une société par la voie institutionnelle. L’adhésion à une constitution et son efficacité seront déterminées par le niveau d’inclusion de tous les secteurs de la population, incluant les peuples autochtones.
Une occasion historique
La nouvelle Constitution politique doit être comprise comme une occasion unique d’aborder un conflit historique issu d’une conception mono-ethnique de l’État, à laquelle s’ajoutent l’exclusion politique et économique des peuples autochtones ainsi que l’imposition d’un modèle économique extractiviste sur leur territoire, qui s’est intensifié au cours des dernières années, devenant toujours plus âpre. Cette accélération du conflit est la conséquence, d’une part, d’une politique répressive contre les protestations sociales autochtones et, d’autre part, de la réponse toujours plus frontale des communautés et organisations autochtones, en particulier mapuches, qui résistent à l’État et son modèle actuel.
Si le processus ne prend pas en compte les peuples autochtones et le peuple chilien en tant qu’acteurs essentiels de l’assemblée qui sera élue en avril 2021, il est très possible que ce conflit historique prenne d’autres voies, comme cela a déjà été le cas, et que l’affrontement prévale sur le dialogue et l’entente entre des peuples qui occupent le même territoire. Les élus conservateurs associés au gouvernement, jusqu’à présent réticents aux demandes de la majorité des peuples autochtones, doivent comprendre que la participation autochtone proportionnelle à sa démographie permettra d’établir de nouvelles formes de cohabitation interethnique, plus justes et plus inclusives. Ils doivent se montrer à la hauteur de cette occasion historique.
[1] Convention (n° 169) relative aux peuples indigènes et tribaux.
[2] Pour plus d’information, voir la carte des conflits sociaux et environnementaux établie par l’Institut national des droits humains du Chili. En ligne : http://mapaconflictos.indh.cl/#/ (en espagnol seulement).
[3] En espagnol : Acuerdo Por la Paz Social y la Nueva Constitución.
[4] En français : l’Association de municipalités ayant une mairesse ou un maire mapuche, qui regroupe des villes du centre du pays.
[5] En français : le Conseil de peuples autochtones de l’Atacama.