Un État social unitaire de droit, plurinational et communautaire

No 030 - été 2009

La nouvelle constitution bolivienne

Un État social unitaire de droit, plurinational et communautaire

Rose-Marie Pelletier

Le samedi 7 février 2009, le président bolivien, Evo Morales Ayma, d’origine ayamara, promulguait la nouvelle Constitution politique de l’État, en présence de Rigoberta Menchu (Guatémaltèque et prix Nobel de la paix en 1992), du Secrétaire général de l’Organisation des États américains (OEA), José Miguel Insulza, des forces armées, de la marine, de la police, de représentants de la nation bolivienne, de ses 36 peuples indigènes d’origine [1] et de plusieurs pays d’Amérique centrale et du Sud. Environ un million de personnes ont participé et assisté à cette cérémonie imprégnée de dignité et de fierté, celles de créer un nouveau pays par cette Constitution.

La promulgation de la Constitution suivait de peu le vote populaire référendaire auquel ont participé 90 % des électeurs, le 25 janvier 2009. Les résultats officiels annoncés par la Cour électorale nationale sont de 61,47 % pour le « si » et de 38,53 % pour le « no » (El Alteno, 30 janvier 2009).

La deuxième indépendance

Dans son discours de promulgation, le président Morales déclare à plusieurs reprises que la Bolivie vit sa deuxième indépendance, la première étant l’indépendance du pays du pouvoir colonial espagnol, en 1825, et la deuxième étant la refondation de l’État bolivien avec et par l’ensemble de sa population, ce 7 février 2009.

Il s’agit de la dix-septième Constitution de la Bolivie. Le président Morales la qualifie d’outil de « refondation » de l’État. D’une part parce qu’une Assemblée constituante en est à l’origine et d’autre part parce que, pour la première fois de son histoire, les 36 nations et peuples d’origine indigène y sont désignés comme entités juridico-politiques autonomes.

La Bolivie, le premier pays à s’y conformer, applique les principes énoncés dans la Résolution de l’Assemblée générale des Nations unies adoptée le 13 septembre 2007, soit la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, résolution non signée, à ce jour, par le gouvernement du Canada.

Les 411 articles de cette nouvelle Constitution, plus les dispositions transitoires, sont le résultat du travail de 255 membres élus au suffrage universel qui formèrent l’Assemblée constituante. Tous les groupes sociaux, les syndicats, les représentants des neuf départements du pays, des régions, des municipalités et de toutes les communautés d’origine indigène y ont participé sous la présidence de Silvia Laserte, d’origine quechua, à compter de juin 2006.

Une opposition belliqueuse

Les travaux de l’Assemblée constituante se sont déroulés dans une atmosphère belliqueuse, compte tenu de l’opposition farouche des cinq départements de la zone orientale de Bolivie, soit les départements de Tarija, Santa Cruz, Pando, Beni et Chuquisaca où la population autochtone est moins grande et où les préfets de département ont organisé des référendums contre le projet de constitution proposé par Evo Morales. Référendums qui n’ont aucune base constitutionnelle.

Maintenant que la nouvelle Constitution est promulguée, que se passe-t-il ? L’opposition demeure la même, l’obstruction de la part des quatre départements pour le « no » aussi (il est à noter que le département de Chuquisaca, dont la capitale est Sucre, a voté à 51 % en faveur de la nouvelle constitution alors que la préfète et son Comité civique étaient contre). Donc, il y a cinq départements qui s’objectent à l’application de la nouvelle Constitution. Ces départements, qui veulent leur autonomie propre, s’objectent au fait que les nations d’origine indigène aient leur autonomie à l’intérieur du même territoire départemental.

Évidemment, définir des juridictions autonomes à l’intérieur d’autres juridictions autonomes n’est pas chose facile et Evo Morales en appelle à tous pour collaborer dans cette difficile tâche de définir un cadre légal acceptable par tous. Les départements opposés à cette « refondation » de la Bolivie sont les plus riches par leurs cultures tropicales ou semi-tropicales et par la présence d’énormes ressources d’hydrocarbures et de gaz.

Un socialisme indigéniste

Les opposants accusent le gouvernement Morales d’être communiste. Or, la Constitution précise que l’État est socialiste tout en respectant la propriété privée. L’eau, l’électricité et le téléphone sont nationalisés, de même que les ressources naturelles de pétrole et de gaz. Mais la porte est ouverte à l’entreprise privée, nationale ou internationale, pour le développement d’industries secondaires à ces ressources, sous le contrôle de l’État bolivien.

Reconnaître les nations indigènes comme entités juridiques et politiques autonomes est la priorité de ce gouvernement qui veut réparer le tort fait à ces nations par les conquérants et leurs successeurs boliviens. En ce sens, le socialisme de Evo Morales est indigéniste alors que celui de Hugo Chávez est bolivarien.

Il faudra suivre de près ce pays qui remonte le temps et fait obstacle aux influences étrangères, colonisatrices officiellement ou non depuis plus de six siècles.


[1Dans le texte constitutionnel, l’expression « d’origine indigène » est préférée au terme « autochtone », considéré péjoratif.

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