Dossier : Santé - État d’urgence
Justice sociale et politiques de la santé
« L’injustice sociale tue à grande échelle », déclare le rapport final de la Commission sur les déterminants sociaux de santé de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Et pour cause : être pauvre, au Québec, peut coûter jusqu’à cinq ans d’espérance de vie en santé selon une étude de l’Institut national de santé publique du Québec. L’abondante littérature sur le sujet est en effet univoque : la situation socioéconomique est aussi importante, sinon plus, pour l’état de santé que les saines habitudes de vie et l’accès aux soins de santé.
Cette découverte ne date pas d’hier. En fait, en 1986 se tenait la première Conférence internationale sur la promotion de la santé, qui a accouché de la Charte d’Ottawa. Réunissant professionnelles de la santé, ONG et chercheures de divers pays, cette conférence a défini la santé comme la mesure dans laquelle un groupe ou un individu peut, d’une part, réaliser ses ambitions et satisfaire ses besoins et, d’autre part, évoluer avec le milieu ou s’adapter à celui-ci. La santé est donc sociale et résulte de l’interaction entre une personne et son milieu de vie.
Les participantes et participants de la Conférence étaient fermement convaincus que si les gens de tous les milieux (ONG, gouvernements, OMS, etc.) s’unissaient pour lancer des stratégies de promotion de la santé conformes aux valeurs morales et sociales énoncées dans cette charte, la santé pour tous et toutes d’ici l’an 2000 deviendrait une réalité. Malheureusement, vingt-cinq ans plus tard, on en est encore loin…
La santé est un privilège lié aux conditions sociales
Depuis 1986, les recherches en santé publique s’accumulent, et on connaît aujourd’hui de plus en plus précisément les liens entre la santé et les situations sociales telles que la discrimination, la pauvreté, la malnutrition, le stress au travail, la violence, etc. Personne n’en doute. On sait qu’à Québec, par exemple, l’espérance de vie est de sept ans moindre si l’on naît dans le quartier Limoilou (un quartier populaire) plutôt qu’à Sillery [1] ; que le fait d’être membre d’un groupe traditionnellement marginalisé (femme, autochtone, personne en situation de handicap, etc.) a un impact sur les conditions de vie et de santé. Pourtant, malgré toutes ces recherches et les recommandations qui en découlent, on attend encore des politiques publiques préventives prenant en considération l’interaction de l’ensemble des facteurs favorisant la santé.
Les gouvernements, aussi bien provinciaux que fédéraux, cherchent à faire des économies en coupant constamment dans les services sociaux. Les recherches et interventions du secteur de la santé sont principalement axées sur des approches curatives. Lorsqu’elles s’ancrent enfin dans la prévention, les politiques de santé publiques et parapubliques se réduisent souvent à des campagnes de vaccination et à la sensibilisation aux saines habitudes de vie. Ces approches à courte vue sont coûteuses et engorgent un système de santé qui peine à suivre. Elles soulèvent de plus des questions quant à leur nécessité, leur efficacité et leur raison d’être. Pourquoi certaines campagnes sont-elles abondamment financées, alors que d’autres secteurs peinent à assurer des services de base ? La question est d’autant plus pertinente lorsque des initiatives de santé publique sont réalisées en partenariat avec le secteur privé, par exemple la Fondation Chagnon. On est alors en droit d’interroger l’indépendance des décideurs et décideuses quant à l’orientation de leurs actions dans un contexte de désengagement financier du gouvernement.
Pour des interventions locales et inclusives
Il est nécessaire d’agir. On a tout en main pour le faire : les recherches, les statistiques, les recommandations. L’avenir dépend de la volonté politique de ceux et celles qui ont le pouvoir. La santé de la population requiert des actions coordonnées en provenance des divers secteurs de la société ainsi que des politiques fiscales et sociales favorisant une plus forte égalité.
Dans l’actuel contexte de compressions budgétaires, de privatisations et de surtaxe à la santé, les revendications des groupes populaires et communautaires sont réaffirmées et gagnent en actualité : augmentation et indexation de l’aide sociale et du salaire minimum, répartition des richesses par la mise en place et le maintien de services publics universels et gratuits et démocratisation des instances de décision. Plusieurs chercheures en santé publique affirment dans le même sens, que la lutte aux inégalités sociales de santé repose d’abord sur le développement des communautés, la participation sociale, l’empowerment et l’action locale ciblée sur les populations en situation de vulnérabilité. Le résultat étant en effet souvent tributaire du processus, la participation des groupes sociaux concernés aux décisions d’orientation et de fonctionnement de services publics convenablement financés ne représenterait-elle pas la condition de base pour enfin construire une société propice à la santé de tous et toutes ?
[1] Robert Pampalon, Espérance de santé et défavorisation au Québec, 1996-1998, Québec, Institut national de santé publique du Québec, 2002. Disponible au www.inspq.qc.ca.