L’établissement d’un impôt-monde onusien !

No 043 - février / mars 2012

International

L’établissement d’un impôt-monde onusien !

Une proposition altermondialiste

Michel Beauséjour

Ce texte promeut une révision importante du mode de financement de l’ONU. Après plus de soixante ans d’existence, le temps est venu de sortir cette institution vénérable de ses ornières du passé, d’envisager un élargissement de son mandat et de lui fournir des outils du XXIe siècle. L’hypothèse que nous soutenons vise à transformer l’ONU en une institution mondiale mieux argentée, plus responsable et plus solidaire ayant, au total, des attributs qui ressemblent davantage à une organisation « gouvernementale » que diplomatique. Nous suggérons ainsi un nouveau pacte social mondial fondé sur l’établissement d’un impôt-monde en vue de soutenir une ONU plus autonome et plus responsable. Cet impôt-monde prendrait la forme d’une taxe de vente onusienne (TVO) de 0,7 % applicable à des dépenses de consommation ciblées des pays du G20.

Pour une fiscalité onusienne internationale, autonome et responsable

L’organisation onusienne, dans sa totalité, opère avec un budget annuel de l’ordre de 25 milliards de dollars, dont 9 G$ en contributions déterminées – des quotes-parts de chaque pays membre – et 16 G$ en donations. Le budget de fonctionnement des 8 000 fonctionnaires accapare 2 G$, les missions de maintien de la paix 5 G$ et les programmes et agences spécialisées 18 G$. En ce qui a trait aux missions de paix, 120 000 militaires provenant d’un grand nombre de pays portent le casque bleu onusien à l’intérieur de 19 missions de paix.

Actuellement, la source historique et basique des fonds de l’ONU provient des quotes-parts des États membres cotisés selon différents critères dont la capacité de payer de chacun. Ce sont les États-Unis qui, de loin, cotisent le plus avec près de 25 % du budget de l’ONU (en tenant seulement compte des quotes-parts obligatoires de chaque pays membre). Suivent le Japon avec 18 %, l’Allemagne avec près de 10 % et le Royaume-Uni, l’Italie et la France avec des quotes-parts de 5 % à 6 %. Non seulement cette approche ne fournit pas suffisamment de fonds, mais elle place l’ONU sous une forme de tutelle, dépendante de la bonne volonté du membre de verser ses dus au moment venu. Les arrérages sont ébouriffants, surtout de la part des Américains, qui se servent de ce levier pour influencer le fonctionnement de l’organisme. Le système onusien a besoin de coudées plus franches pour le dégager des méandres financiers plutôt obscurs qui nourrissent le grenouillage de pouvoir dans ses officines. De plus, l’institution souffre d’un manque de transparence puisque la population n’est pas vraiment impliquée dans son fonctionnement. Ainsi, les quotes-parts ne fonctionnent pas : elles sont un peu minces, trop contraignantes et trop souvent versées en retard.

Et puis, il y a les dons ! Dans ces cas, il s’agit toujours d’une mesure palliative qui ne fait qu’ajourner les solutions bien senties. On effectue des levées de sous pour chaque catastrophe naturelle ; au temps des conflits armés, les Casques bleus sont fournis par différents pays (de moins en moins par les pays développés) ; on réussit à amasser des fonds particuliers pour lutter contre certaines maladies endémiques comme le paludisme et le sida. Mais tout ça n’est plus suffisant, c’est archaïque et pénible. Il importe maintenant de dépasser cette logique caritative et de s’imprégner d’une solidarité réelle et assumée par tous. Cédons la parole à Pascal Lamy, patron actuel de l’Organisation mondiale du commerce : « À cet égard, nous disposons d’un levier économique et démocratique, véritable socle d’une collectivité qui veut agir en tant que communauté, et c’est l’impôt. Le temps est venu de confronter cette nécessaire solidarité communautaire internationale avec l’imposition d’une fiscalité mondiale  » (La démocratie-monde : pour une autre gouvernance globale, Seuil, 2004).

La littérature économique propose plusieurs nouvelles formes d’imposition internationale telles que la « taxe Tobin » sur les transactions financières transfrontalières, une taxation internationale qui toucherait les émetteurs de carbone, des taxes sur d’autres formes d’externalité ou encore des taxes sur l’utilisation des espaces internationaux. Néanmoins, toutes ces formes de taxation innovatrices posent un ensemble de problèmes au niveau de l’application pratique – solubles certes, et souhaitables dans d’autres cadres référentiels – qui nous portent à préférer l’utilisation des impôts déjà existants. Conséquemment, notre proposition est la suivante : la mise sur pied d’une TVO, la taxe de vente onusienne, applicable sur des dépenses finales des consommateurs, semblable aux champs d’application de la taxe des produits et services (TPS) canadienne. Les avantages d’une taxe onusienne sur les dépenses de consommation sont nombreux : la mise en place de la TVO impliquerait un très faible coût de collecte puisque le système fiscal d’imposition indirecte serait déjà en place pour une grande partie des pays, la recette fiscale onusienne serait prévisible et automatique et, surtout, elle engendrerait la possibilité de collecter des sommes d’argent considérables au prix d’une majoration limitée des taux d’imposition grâce à l’existence d’une très, très large assiette fiscale.

La portée d’une taxe supranationale

Pour le commun des mortels, celui qui au bout du compte finit toujours par payer la note, est-il possible de lui faire accepter l’idée d’une taxe supranationale ? Voyons voir simplement. Suppo­sons une dépense finale avant taxes de 100 $ corres­pondant à l’addition d’un repas pris au restaurant au Québec. Sur la facture se détacherait une imposition de deux ordres : une TPS (5 %) de 5 $ remise au gouvernement fédéral et une TVQ de 9,5 % (à partir du 1er janvier 2012) calculée sur le prix d’achat plus la TPS, soit 9,97 $ remis au gouvernement québécois. Au total, donc, 14,97 $ seraient versés aux paliers canadien et québécois. Ajoutons notre proposition d’une TVO de 0,7 % sur cette dépense finale de 100 $ : s’additionnerait donc aux 14,97 $ un 70 ¢ crédité à l’ONU.

Ce qui tombe sous le sens ici, c’est bien l’exiguïté du 70 ¢ : un si petit montant, des « pinottes » eu égard aux 14,97 $. Mais quelle différence profonde au niveau de l’effet global ! Nous avons calculé que cette forme de taxation ferait passer la contribution canadienne à l’ONU de quelque 500 millions à 4,2 milliards de dollars. Ce 70 ¢, si banal, si basique en tant que dépense budgétaire du consommateur, se révèle en même temps si novateur, si radical en raison de sa supranationalité et de la cueillette inestimable de fonds qu’il représente. En plus, cette taxation engendrerait une plus grande solidarité entre citoyens du monde et une plus grande conscience de leur capacité à être partie prenante des opérations de la planète. Si le citoyen canadien sait que le Suédois, le Chinois, le Brésilien et combien d’autres payent ce même 70 ¢ pour sustenter le pouvoir de pacificateur et de « régularisateur » de l’ONU, il le fera avec plus de conviction et de civilité. Et, de surcroît, l’ONU serait obligée d’être plus transparente grâce à l’imputabilité liée aux centaines de millions de personnes directement responsables de son financement. À noter qu’on peut argumenter en faveur de l’ajout du 0,7 % à la structure de taxation indirecte déjà en place par mesure d’efficacité, mais nous préférons une nouvelle taxe, une TVO ostensible, afin que les consommateurs sachent, chaque fois, combien ils contribuent au bien-être de leurs semblables à travers le monde.

Selon nos calculs, les dépenses finales totales des pays du G20 sont estimées à 48 000 milliards $ en 2009. Si l’on devait y appliquer une taxe de 0,7 % sur une assiette fiscale qui ressemblerait à celle de la TPS canadienne, nous estimons la recette onusienne de l’ordre de 150 milliards $ par année par rapport à 25 G$ avec les quotes-parts et dons actuels. Ce 0,7 % de taxe de vente nous rapprocherait ainsi de la cible fixée par les responsables des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), qui souhaitent voir l’aide aux pays en développement atteindre le seuil de 50 ¢ le 100 $ de revenu produit dans les pays développés. Actuellement, ceux-ci donnent environ 25 ¢ le 100 $ de revenu aux pays en développement en forme d’aide (aux États-Unis, c’est seulement 18 ¢ par 100 $ de revenu).

La mondialisation de la solidarité

Ce paradigme d’une ONU un peu plus « gouvernementale » que diplomatique relèverait-il de l’utopie ? Serait-ce un projet irréaliste ? À la limite, sommes-nous tout simplement en train de heurter le mur des sacro-saintes souverainetés des nations ou, à l’opposé, est-il possible de miser sur une nouvelle conscience planétaire, citoyenne, imprégnée de justice, d’imaginer que les êtres humains veuillent participer à un mouvement social qui transcende leur individualisme, leur chacun-pour-soi et, in fine, serait-il pensable alors d’oser un projet de mondialisation sociale – une « mondialisation de la solidarité » avec les plus démunis de la Terre ?

Légitimement, l’ONU est en état d’exiger un financement fiable et de grande taille pour s’acquitter avec adresse non seulement de sa tâche traditionnelle de pacificateur, mais aussi de la mission sociale axée sur les OMD. Sur le plan technique, nous avons devant nous une proposition concrète, réalisable et stimulante. Notre toute petite taxe universelle de 70 ¢ par 100 $ de dépense taxable – un geste de partage à la fois si simple et si extrême – peut redéfinir les paradigmes de l’implication citoyenne dans le monde et du mieux-être de l’humanité.

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