Le film "La règle d’or"

No 043 - février / mars 2012

Culture

Le film "La règle d’or"

Une entreprise immorale

Paul Beaucage

Dans un contexte particulier où le gouvernement libéral de Jean Charest tente de faire oublier les nombreux scandales qui l’éclaboussent en lançant de grands chantiers miniers dans la partie septentrionale du Québec (le fameux Plan Nord), il apparaît fort opportun de s’interroger sur les prétendus bienfaits de l’exploitation des ressources naturelles québécoises par l’industrie minière.

Se penchant sur le cas précis du développement de la mine d’or à ciel ouvert de la petite ville de Malartic, en Abitibi, par la corporation minière Osisko, le cinéaste Nicolas Paquet tente de saisir les conséquences que l’établissement d’un vaste chantier dans un milieu urbain engendre pour la population concernée. Cela dit, en réalisant La règle d’or (2011), Paquet n’a pas manqué d’ambition puisqu’il savait qu’une partie importante de la population de Malartic était a priori gagnée à la cause de la compagnie minière. Néanmoins, il espérait y rencontrer des témoins assez lucides pour lui traduire la réalité des faits.

Une solide recherche ethnographique

Fort judicieusement, Nicolas Paquet a choisi d’identifier, d’interroger et de suivre des individus conciliants durant un certain temps, dans la ville de Malartic, tandis que les travaux miniers battaient leur plein. Il en résulte que l’axe spatio-temporel de sa narration épouse les divers points de vue des principaux témoins critiques du film et non pas celui d’un cinéaste qui leur imposerait une représentation désincarnée de la nouvelle réalité malarticoise. De manière progressive, Paquet a pu saisir la nature des changements qui ont eu lieu dans la petite municipalité et dans quelle mesure ceux-ci ont transformé la perception que différents citoyens entretenaient des débouchés propres à l’exploration minière. Parmi ces gens, on soulignera les cas d’une restauratrice, d’un paysagiste, d’un modeste résidant et d’un photographe qui ont déjà entretenu une vision plutôt favorable de la compagnie minière.

Au fil des jours, Nicolas Paquet a pu observer ces résidants et constater que l’enthousiasme qu’ils éprouvaient au début des travaux miniers a fait place au scepticisme, au mécontentement, voire à la désolation. Pour illustrer cette antithèse, le réalisateur nous montre une sympathique propriétaire de casse-croûte qui espérait que les travailleurs miniers combleraient la perte de clientèle de son commerce, causée par le déménagement de certains résidants, demeurant désor­mais dans la partie nord de la ville. Malheureusement pour elle, ces travailleurs mangent dans une cantine de l’entreprise ou consomment leur repas froid dans l’enceinte de la mine. Dans la dernière partie du film, le spectateur découvrira que cette femme d’un certain âge n’aura d’autre choix que de mettre son restaurant en vente...

La prise de position d’un témoin nuancé

À notre avis, le spectateur averti sera sensible au sens de la nuance dont témoigne Nicolas Paquet dans l’ensemble de son film. Récusant les grandes envolées lyriques et une certaine rhétorique écologique, il nous enseigne en quoi les multiples transformations de la ville affectent les Malarticois quotidiennement. Dans la première partie du film, un paysagiste ne manque pas de souligner au cinéaste qu’il a d’abord vu d’un bon œil le fait qu’on implante une mine à ciel ouvert à Malartic. Pourtant, le jeune homme avoue avoir déchanté en constatant comment les composantes négatives de l’opération (bruit, poussière, pollution et décomposition urbaine) ont pris le dessus sur ses composantes positives (création d’emplois), jour après jour. Par conséquent, il signale au cinéaste s’être fixé comme objectif de continuer à travailler dans la municipalité durant une autre année. Au terme de ce délai, si les choses ne s’améliorent pas sensiblement, il affirme qu’il n’hésitera pas à abandonner un emploi fort bien rémunéré et une région qu’il aime afin de s’établir ailleurs. Selon lui, un tel résultat traduirait incontestablement l’incapacité de la compagnie Osisko de travailler – contrairement à ce que prétendent ses thuriféraires – dans l’intérêt de l’ensemble de la population de Malartic.

Les mécanismes du pouvoir

Malgré ses remarquables qualités, il faut reconnaître que La règle d’or comporte quelques lacunes mineures. Parmi celles-ci, mentionnons le fait que ce long métrage ne démystifie pas suffisamment les mécanismes du pouvoir politique auquel se heurtent les Malarticois. De façon claire, il eût été intéressant de nous montrer comment les différents paliers de gouvernements ont procédé pour investir la mine d’Osisko du pouvoir exceptionnel dont elle dispose. Dans cette perspective, on peut légitimement supposer qu’il y a eu des ententes occultes entre le gouvernement provincial et les dirigeants de la compagnie Osisko. Or, sans doute le documentariste a-t-il choisi d’ignorer cette dimension des choses parce qu’il la jugeait moins révélatrice que celle touchant aux citoyens de Malartic. Soit. Néanmoins, en mettant en lumière ce phénomène, il aurait pu investir son film d’une portée universelle qui lui fait quelque peu défaut. Cela dit, on ne saurait nier que Nicolas Paquet traduit avec beaucoup d’à-propos la sombre réalité sociopolitique qui se dessine irréversiblement à Malartic.

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