Abolition du placement syndical dans la construction

No 043 - février / mars 2012

Travail

Abolition du placement syndical dans la construction

Léa Fontaine, Jean-Marc Piotte

L’industrie de la construction constitue un gros secteur d’activités occupant plus de 150 000 travailleuses et travailleurs actifs et près de 25 000 employeurs. Par ailleurs, elle brasse plusieurs millions de dollars. Cette industrie est aussi connue pour la violence et les intimidations qui y ont cours ainsi que pour la corruption des employeurs. Chacun se souviendra des « incidents » de la Baie-James de 1972. Plus récemment, plusieurs événements et dénonciations de violence ont de nouveau mis le secteur sous les projecteurs. L’année 2011 s’est d’ailleurs terminée par une modification substantielle de la législation régissant les relations de travail dans le secteur.

Secteur d’activité particulier

Le secteur de l’industrie de la construction revêt plusieurs caractéristiques qui en font un secteur d’exception : multiplicité de petites entreprises (employant moins de cinq salariés) éparpillées sur l’ensemble du territoire québécois ; caractère temporaire des chantiers ; fortes rivalités syndicales ; caractère saisonnier de l’activité ; présence de plusieurs employeurs sur un même chantier ; risques accrus de maladies et d’accidents professionnels induits par la difficulté à mettre en œuvre des mesures préventives en matière de santé et de sécurité ; mobilité de la main-d’œuvre, etc. En raison de ces traits particuliers, les salariés et employeurs sont donc soumis à un cadre législatif spécial, la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction, communément appelée Loi R-20.

Régime juridique spécial

Aux termes de la Loi R-20, la négociation collective des conditions de travail est sectorielle ; en d’autres termes, elle ne se fait pas au niveau de l’entreprise ou du chantier. De plus, le syndicalisme est pluraliste. En effet, trois associations d’employeurs – l’Association provinciale des constructeurs d’habitation du Québec (APCHQ), l’Association de la construction du Québec (ACQ), l’Association des constructeurs de routes et des grands travaux du Québec (ACRGTQ) – et cinq associations de salariés – la FTQ-Construction représentant 44 % des travailleurs, le Conseil provincial du Québec des métiers de la construction (CPQMC, 26 %), la CSD-Construction (15 %), la CSN-Construc-tion (11 %) et le Syndicat québécois de la construction (SQC, 4 %) – sont reconnues comme représentatives aux fins de la négociation.

Parmi plusieurs règles atypiques, l’une consiste en l’obligation faite à chaque salarié du secteur d’adhérer à l’une ou l’autre des associations syndicales représentatives et en l’interdiction faite aux employeurs d’embaucher aux fins de la construction un salarié non membre de l’une d’entre elles. La représentativité relative desdites associations est vérifiée lors d’un scrutin – qui a lieu tous les trois ans –, mais celui-ci est très particulier en raison de l’existence de la règle du « choix présumé ». Selon cette règle, un salarié ayant droit de faire connaître son choix, mais qui ne l’a pas exprimé lors du scrutin, est réputé avoir choisi l’association en faveur de laquelle il a fait connaître son choix lors du scrutin précédent ou à laquelle il a adhéré depuis ce scrutin. Compte tenu des violentes oppositions existant parfois dans ce secteur d’activité, nul doute que le changement d’allégeance ne se fait pas sans crainte de représailles. La présomption est appliquée dans 90 % des cas, c’est-à-dire que seulement 10 % des salariés se déplacent pour exprimer leur préférence syndicale. D’ailleurs, la Commission de la construction du Québec (CCQ) reçoit régulièrement des plaintes dénonçant des gestes d’intimidation, de sollicitation, de violence ou encore d’affichage illégal.

Placement syndical

Il s’agit d’un système de références émises par les associations de salariés. Concrètement, lorsqu’un employeur a besoin d’embaucher de la main-d’œuvre de tel ou tel corps de métier, il s’adresse à l’une des cinq associations représentatives afin d’obtenir une liste de salariés potentiels. Malgré les interdictions de discrimination inscrites au cœur de la Loi R-20, il arrive qu’une association dominante impose ses propres membres au détriment de ceux des autres associations.

En raison des intimidations et autres actes de violence ayant récemment secoué l’industrie de la construction, le gouvernement Charest a obtenu l’amendement de plusieurs articles de la Loi R-20. Si la CSN-Construction affirme être favorable à la modification législative, il n’en est rien des autres associations de salariés, notamment de la FTQ-Construction et du CPQMC, qui représentent à eux deux 70 % de la main-d’œuvre du secteur, dont la presque totalité des plombiers, des électriciens et des grutiers. Ces deux associations vont être affaiblies dans le rapport de force les opposant aux employeurs alors même qu’elles ont réussi à négocier pour leurs membres des conventions collectives appréciées.

Les nouvelles dispositions de la Loi R-20 interdisent le placement syndical, c’est-à-dire que les associations de salariés ne peuvent plus émettre des références aux employeurs en quête de main-d’œuvre. Seule la CCQ peut le faire.

Si l’intention est louable, force est de constater que la tâche incombant à la CCQ est lourde. En effet, il faut créer de toutes pièces un système de référence prenant en considération une main-d’œuvre extrêmement diversifiée. Qui plus est, le calendrier est serré et chargé en raison de l’existence de plusieurs événements à venir : d’abord, un Comité transitoire dédié à la référence syndicale a été mis sur pied en janvier 2012, comité auquel la CSN-Construction souhaite prendre part ; ensuite, le prochain scrutin de vérification de la représentativité des associations aura lieu en juin 2012 ; enfin, la Commission d’enquête publique sur l’industrie de la construction doit rendre son rapport d’ici la fin de l’année 2013. En raison du climat régnant dans ce secteur, il est permis de douter de la capacité de la Commission de la construction de créer dans les plus brefs délais un nouveau système de référence, surtout si deux des principales associations de salariés ne coopèrent pas.

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