Dossier : Santé - État d’urgence

Dossier : Santé - État d’urgence

Les partenariats publics-privés

Plus en santé que jamais !

Julie Martin

L’intrusion du privé dans des secteurs d’activités du domaine public, notamment par le biais des partenariats public-privé (PPP), était l’un des éléments centraux de la réingénierie proposée par le gouvernement Charest dès son arrivée au pouvoir. Les orientations qu’il a adoptées au fil du temps en ont toujours témoigné. Cependant, la teneur de cette privatisation est-elle exprimée clairement par les pouvoirs politiques et, surtout, comprise par la population ? Rien n’est moins certain. Les PPP, sous différentes formes, occupent une place grandissante parmi les projets d’infrastructures au Québec et le réseau de la santé ne fera pas exception à la règle.

La portée des projets en PPP

Au sens de la loi, le mode PPP implique qu’« un organisme public associe une entreprise du secteur privé, avec ou sans financement de la part de celle-ci, à la conception, à la réalisation et à l’exploitation d’une infrastructure publique. » Le coup d’envoi de cette intrusion a été donné par l’adoption du projet de loi 61, devenu la Loi sur l’Agence des partenariats public-privé. Cette loi indiquait explicitement l’idée du gouvernement : un contrat en PPP peut viser une infrastructure, mais il peut également avoir pour objet la prestation d’un service public [1]. Par la suite, le projet de loi 65 (adopté en novembre 2009) est venu remplacer l’Agence des PPP par Infrastructure Québec, un organisme ayant théoriquement un mandat plus large, c’est-à-dire de recommander au gouvernement le mode de réalisation le plus avantageux pour la concrétisation de grands travaux. Dans les faits, les différents modes de réalisation comportent tous un degré de privatisation plus ou moins grand. Tel que promis par Monique Gagnon-Tremblay, ministre responsable de l’Administration gouvernementale lors du dépôt du projet de loi, les PPP ne seront pas mis sur la voie d’évitement.

De fait, la Loi sur Infrastructure Québec a des visées très larges. Tous les ministères et organismes gouvernementaux y sont soumis. Le réseau de la santé et des services sociaux n’en est donc pas exclu, tant sur le plan des infrastructures, des services non cliniques (buanderie, centrale thermique, services alimentaires, stationnement), des services de soutien clinique (services de laboratoire, services diagnostiques) que des services professionnels qui y sont dispensés. À cet effet, la Loi ne prévoit aucune exception. Par conséquent, les PPP peuvent comporter divers degrés de privatisation et, en ce sens, les modèles sont nombreux.

Les centres hospitaliers universitaires (CHU)

Les projets de modernisation du Centre hospitalier universitaire de Montréal (CHUM), du Centre de recherche du CHUM et du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) ont constitué les premières expériences québécoises en matière de PPP dans le réseau de la santé. Au départ, ces projets visaient uniquement les services non cliniques, soit la conception, la construction, le financement et certains services contractuels d’entretien. De fait, quelques services étaient spécifiquement exclus des PPP, par exemple l’entretien ménager, la buanderie et l’alimentation [2].

Cependant, il est loin d’être démontré que d’autres services offerts dans les CHU ne seront pas éventuellement sous-traités ou couverts par des contrats en PPP. En 2004, la commission d’analyse des projets d’implantation du CHUM et du CUSM recommandait « […] que les deux établissements examinent, entre autres modalités, le recours au partenariat public-privé pour produire au meilleur coût les activités non cliniques qui s’y prêtent et justifient éventuellement le choix du mode de réalisation retenu [3]. »

Les recommandations de la commission ne sont peut-être pas tombées aux oubliettes. Ainsi, une recherche menée par l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) soulève que : « Le manque de transparence au regard du contrat de sous-traitance de l’entreprise Sodexo au CUSM et l’opacité habituelle du mode de conception en partenariat public-privé des nouveaux CHU ne permettent pas à la population de savoir comment seront gérés les services alimentaires hospitaliers et quel pourrait être l’impact d’une telle gestion dans ces établissements [4]. »

Il est donc impossible d’affirmer que les services alimentaires ne seront pas offerts en PPP. L’IRIS précise que ce constat est d’autant plus inquiétant que les expériences de sous-traitance de services alimentaires se sont souvent soldées par des échecs retentissants, ayant des impacts sur la qualité de la nourriture et sur les conditions de travail du personnel.

La population du Québec se retrouve-t-elle avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête ? Tout indique que oui. Un chercheur de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), Pierre J. Hamel, a révélé que, outre leurs coûts plus élevés, les centres hospitaliers construits en PPP démontrent un manque d’adaptabilité important. Ce défaut est d’autant plus préoccupant lorsque le PPP vise un centre hospitalier universitaire, nécessitant un ajustement constant des infrastructures à l’évolution des connaissances et de la technologie.

Dans plusieurs cas, ces critiques se sont malheureusement avérées fondées. Tout récemment, en France, le Centre hospitalier sud francilien a fait la manchette en raison de son fiasco financier et des nombreuses irrégularités répertoriées. Pourtant, les économies qui auraient été réalisées en mode public sont évaluées à 500 millions d’euros. En outre, le personnel n’a pas cessé de voir ses conditions de travail se détériorer. Le bilan des cliniques en PPP de la Grande-Bretagne n’est pas plus reluisant. Les résultats d’une étude menée en 2008 démontrent que le secteur privé réalise des profits au détriment des patientes, de la population et des établissements publics. Les CHU en PPP font donc craindre le pire avant même le début de leurs opérations.

Les centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD)

Quelle est la dernière innovation du gouvernement Charest ? Un modèle de PPP qui inclut l’ensemble des soins et des services. Ce modèle a été développé au CHSLD de Saint-Lambert-sur-le-Golf, où la conception, la construction, le financement et l’exploitation ont été confiés à l’entreprise privée. Le gouvernement a misé sur cette nouvelle formule en raison de la nécessité d’augmenter la valeur du contrat pour qu’il devienne un projet majeur au sens de la loi et que le recours au PPP soit alors possible. Un pas de plus a donc été franchi vers la privatisation des services de santé.

Les résultats du CHSLD n’ont rien d’encourageant. En effet, le rapport de l’étude menée par la firme de consultants MCE Conseils comporte plusieurs constats inquiétants. Outre le fait que le projet aura coûté plus cher que s’il avait été réalisé en mode public, les chercheures soulignent aussi que les économies annoncées sont principalement fondées sur des salaires nettement inférieurs à ceux observés sur le marché. Également, le manque d’expérience du groupe Savoie dans la gestion d’un CHSLD ainsi que l’absence de protection des patientes prévues à la loi pour les CHSLD publics sont des lacunes constatées dans l’étude [5]. Les familles se sont plaintes sur de nombreuses tribunes, dénonçant le manque de ressources et l’instabilité du personnel qui ont des conséquences importantes sur les services offerts.

Le gouvernement persiste et signe

Il faut se demander pourquoi le gouvernement persiste et signe en matière de recours aux PPP dans le secteur de la santé. Le 21 octobre dernier, lors du Forum de l’Institut des partenariats public-privé, Éric Michaud, président-directeur général par intérim d’Infrastructure Québec, annonçait le possible recours aux PPP pour la construction de quatre centres hospitaliers régionaux. Au cours du même mois, le gouvernement annonçait l’identité des soumissionnaires retenus pour les quatre autres projets de CHSLD en PPP, soit trois en Montérégie et un à Laval.

Le recours aux PPP constitue une forme sournoise de privatisation. Avec la conclusion des différents accords de commerce auxquels adhère le gouvernement, un monde nouveau pourrait s’ouvrir pour les partenariats public-privé, c’est-à-dire pour des investisseurs ayant des intérêts autres que ceux des patientes. D’ailleurs, le chercheur Pierre J. Hamel soulignait dans son étude que la forme actuelle des PPP sera rapidement vue comme étant dépassée et que de nouveaux modèles de PPP ont encore un bel avenir. Le recours aux PPP n’est donc qu’un pas de plus vers la marchandisation du réseau public de santé.


[1Article 6, Loi sur l’Agence des partenariats public-privé du Québec, devenu articles 4 et 6, Loi sur Infrastructure Québec.

[2Agence des partenariats public-privé, Portée des projets PPP du CUSM et du CHUM, reproduit dans Pierre J. Hamel, Un hôpital en partenariat public-privé (PPP) : un pari trop risqué, INRS, Groupe de recherche sur l’innovation municipale, mars 2010, p. 34.

[3Commission d’analyse des projets d’implantation du Centre hospitalier de l’Université de Montréal et du Centre universitaire de santé McGill, Soins, enseignement, recherche, Au cœur de la cité, Rapport, avril 2004, p. 52.

[4Guillaume Hébert, Nouveaux CHUM/CUSM : Vers la sous-traitance des services alimen­taires ?, Institut de recherche et d’informations socio-économiques, Rapport de recherche, février 2010, p. 3.

[5MCE Conseils, CHSLD Saint-Lambert-sur-le-Golf (CHSLD en PPP) – hébergement et soins en CHSLD accordés dans le cadre d’un partenariat public-privé (PPP) avec l’ASSS de la Montérégie – Synthèse de l’analyse avantages-coûts, avril 2011, p. 2-3.

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