Dossier : Santé - État d’urgence

Dossier : Santé - État d’urgence

Rockland MD

La belle affaire

Jean-Pierre Larche

Selon la direction de l’Hôpital du Sacré-Cœur, celui-ci pourrait mettre fin dès mars prochain à l’entente douteuse qui le lie à la clinique privée Rockland MD depuis décembre 2007. La poursuite de ce partenariat serait en effet scandaleuse tant il démontre l’incompatibilité entre la marchandisation des soins de santé et l’intérêt public. Voici comment, après avoir créé de toutes pièces de réels problèmes dans le réseau public, les chantres de la privatisation se sont ensuite tournés vers le privé avec de fausses solutions !

Remontons un peu dans le temps. En 1995, la firme SECOR remet un rapport dévastateur à l’Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec. Conclusion : il y a 8 000 infirmières de trop au Québec. Rapidement, ce rapport, ainsi que d’autres études semblables, devient parole d’évangile dans les cercles néolibéraux. Dans la foulée de la quête au déficit zéro de Lucien Bouchard, on abolit la plupart des postes d’infirmières auxiliaires au Québec, puis on envoie massivement des milliers d’infirmières à la retraite. Un des signataires de ce fameux rapport se nomme Marcel Côté.

En 2003, ce dernier se retrousse les manches et participe à la première élection de son grand ami Jean Charest. Marcel Côté se joint ensuite au conseil d’administration de la toute nouvelle clinique privée montréalaise, Rockland MD. Peut-être est-ce pure coïncidence, mais en 2007, c’est exactement cette pénurie d’infirmières, engendrée par les recommandations d’un rapport que M. Côté a signé, qu’invoque l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal pour confier à Rockland MD des milliers de chirurgies simples et fort lucratives, avec pour ambition de réduire sa liste d’attente pour les chirurgies mineures. L’Agence de la santé de Montréal tente bien d’empêcher cet accord, mais le ministre de la Santé de l’époque, Philippe Couillard, trouve quant à lui l’initiative fort intéressante. L’Hôpital conclut donc cette entente bien que :

  • chaque chirurgie effectuée à Rockland MD lui coûte entre 30 % et 40 % plus cher ;
  • une des salles opératoires vacantes de l’Hôpital aurait pu être utilisée pour faire ces chirurgies et demeure aujourd’hui inutilisée ;
  • l’Hôpital continue d’assumer tous les traitements et les tests nécessaires avant la chirurgie d’un jour et assure le suivi ensuite, notamment en cas de complications ;
  • les personnels et leur syndicat proposent plusieurs améliorations pour pallier les problèmes de Sacré-Cœur, dont une révision de l’organisation du travail ;
  • pour fonctionner, la clinique privée doit recruter des infirmières du réseau public, aggravant d’autant la pénurie.

À qui profite l’entente ?

Quatre ans plus tard, les critiques à l’égard de cette entente demeurent toutes d’actualité. Ceux et celles qui font la promotion de la clinique privée clament que celle-ci permet de réduire les délais d’attente, mais les faits démontrent que la clinique présente des temps d’attente qui rejoignent la moyenne québécoise, soit 15 mois. Il faut souligner que les chirurgies effectuées à Rockland MD ne s’ajoutent pas à celles effectuées à Sacré-Cœur : elles les remplacent !

Récemment, le chroniqueur Alain Dubuc de La Presse revenait sur la controverse afin d’inciter l’Hôpital à renouveler le contrat avec Rockland MD en mars prochain. Il y voit en effet une solution d’avenir pour notre réseau de la santé. La vice-présidente de la Fédé-ration de la santé et des services sociaux, Nadine Lambert, une infirmière de l’Hôpital Sainte-Justine, lui a répondu que le « succès » de Rockland MD repose entièrement sur le bon travail des employées de l’Hôpital Sacré-Cœur, qui assurent le suivi en amont et en aval pour chaque malade ainsi que sur le personnel de Rockland MD, formé dans le public. Chiffres à l’appui, elle conclut que cette expérience coûte cher et qu’en plus, elle draine des employées hors du réseau qui les a formées. Ce qu’Alain Dubuc qualifie de résistance syndicale au changement relève plutôt du « gros bon sens » selon Mme Lambert. Elle pose enfin la véritable question que n’a pas soulevée le chroniqueur  : «  À qui profite réellement l’entente entre l’Hôpital du Sacré-Cœur et la clinique Rockland MD  ?  »

Malheureusement, La Presse n’a pas jugé bon de publier sa lettre. La question est pourtant très pertinente ! L’entente entre l’Hôpital du Sacré-Cœur et la clinique Rockland MD ne profite pas aux patients et aux patientes, qui ne sont pas soignés plus vite, ni mieux. Elle ne profite pas aux employées, dont on ne tient pas compte dans la recherche de solutions. Elle ne profite pas aux contribuables, qui paient plus cher pour des services moindres. Elle ne profite pas aux gestionnaires, qui voient l’expertise quitter le public vers le privé. Elle ne profite pas non plus aux citoyennes et aux citoyens qui demandent transparence et imputabilité. Alors, à qui donc cela profite-t-il ?

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