Marianne Prairie et Caroline Roy-Blais (dir.)
Je suis féministe, le livre
Marianne Prairie et Caroline Roy-Blais (dir.), Je suis féministe, le livre, Montréal, Éditions du Remue-Ménage, 2016, 204 pages.
C’est en 2008 que naît le blogue Je suis féministe afin d’ouvrir sur le Web un espace pour que de jeunes féministes québécoises francophones assumées prennent publiquement la parole et que s’établisse une correspondance entre ces femmes qui ne se reconnaissent pas entièrement dans le féminisme de leurs prédécesseuses. Entre rupture et continuité, ces féministes, très souvent absentes des médias de masse et, à l’époque, du Web, ont trouvé dans ce blogue une tribune créée par et pour elles. N’ayant pas de ligne éditoriale stricte (l’unique perspective féministe étant de mise, sans être définie, seuls les textes anti-choix sur l’avortement étant refusés), le blogue offre une toile idéale pour une première prise de parole féministe. À travers la multiplicité des thématiques abordées et la forme des chroniques publiées, crues et agréables à lire, le blogue est également devenu un espace pour s’initier aux féminismes et un lieu d’éducation populaire qui a participé à une popularisation du terme et des idées. Incontestablement, il a joué un rôle majeur dans l’augmentation de l’utilisation, dans les dernières années, du Web comme un des éléments centraux des paroles féministes.
Décidant de passer du virtuel à l’objet réel, Marianne Prairie et Caroline Roy-Blais sortent en 2016 une anthologie de textes publiés sur le blogue par plus de 30 auteur·e·s. Cet ouvrage permet de rejoindre un lectorat différent de celui qui se retrouve sur Internet et permet de garder une trace papier de cette grande aventure collective. Il rend compte de féminismes dynamiques, mouvants, ancrés dans le présent et du blogue comme lieu commun et libre d’analyse et de critique sociales, si rare dans nos sociétés étriquées.
Plusieurs de ces textes cherchent à contribuer à la mémoire collective féministe : en témoignant d’événements – de l’affaire Daigle à la tuerie de Polytechnique –, ils mettent en valeur les batailles des ancien·ne·s. D’autres offrent une plate-forme critique par rapport à des œuvres artistiques et culturelles, du test de Bechdel aux dicos pour filles en passant par la dénonciation de la culture populaire sexiste. D’autres encore se penchent sur les « sujets chauds » : avortement, maternité, couple et famille, travail du sexe, sexualités, violences… Sans oublier ceux qui mettent en exergue les féminismes comme des mouvances continues. Des voix qui se font échos les unes aux autres et dans lesquelles on sent à la fois colère, humour, résistance, autocritique, farouche révolte et éternel désir d’autre chose.
Si on se demande légitimement qui prend parole et qui est entendu sur l’ensemble des médias que l’on véhicule, reste à éclairer qui ne la prend pas. Les femmes autochtones sont les grandes absentes des articles recensés. De quel « Québec » parle-t-on et de quelle histoire coloniale ne parle-t-on pas (ou peu) ? Il est d’ailleurs dommage de voir que le chapitre sur l’intersectionnalité et l’international, s’il traverse les frontières de l’Inde jusqu’au Brésil, ne contient aucun article abordant les enjeux spécifiques des femmes racisées habitant sur le territoire nommé Québec. Sans parler des enjeux touchant les lesbiennes, trans, queer, intersexes et toutes autres personnes de la diversité de genre et de sexe et en dehors de l’hétéronorme (qu’ils ou elles soient ou non racisé·e·s) qui, s’ils ne sont pas totalement absents, se retrouvent assez rarement à travers les pages. Saluons la volonté d’ouvrir l’espace à « toutes les voix féministes ». Et demandons-nous à qui ces termes font référence.