No 027 - déc. 2008 / jan. 2009

L’écoféminisme

Une nouvelle alliance

Elsa Beaulieu

Devant l’ampleur des problèmes écologiques, énergétiques et alimentaires à l’échelle de la planète, ainsi que devant l’accroissement effréné des violences et des inégalités sociales, il est urgent de créer des alliances entre les différentes luttes progressistes et plus particulièrement entre les luttes féministes, écologistes et pour la justice sociale.

Un ennemi commun

D’abord et avant tout, parce que nous avons un ennemi commun. Le gouvernement Harper, tout comme celui de Bush, incarne particulièrement bien cette droite phallocrate au service de la suprématie de l’homme blanc hétéro qui se soulage sur vos plates-bandes de légumes bio, crache sur les droits reproductifs des femmes [1] et contribue allègrement à accroître la masse critique de gaz à effet de serre. C’est le prototype même du sale type au sourire plastique qui démontre clairement que les élites au pouvoir, ivres de fric et de pétrole, profitent à la fois des oppressions sociales et de la destruction de la nature pour s’en mettre plein les poches et la panse.

La droite libérale, quant à elle, est plus insidieuse. Elle cherche à récupérer à son profit la légitimité durement gagnée de certaines luttes féministes pour la mettre au service de ses propres projets [2]. Par exemple, le gouvernement Charest, au printemps 2007, réussit un coup d’éclat en constituant le premier conseil des ministres composé à 50 % de femmes. Cela ne l’empêche pas, par ailleurs, de contribuer à la privatisation graduelle du système de santé. Ce qui a pour conséquence d’appauvrir un grand nombre de femmes et de renforcer l’injuste division sexuelle du travail en faisant d’elles les « aidantes naturelles » sur le dos desquelles l’État se décharge de ses responsabilités [3]. Parallèlement, les méga projets écologiquement insoutenables promus à répétition par le gouvernement Charest n’ont pas fini de nous trouver en travers de leur chemin, même si les mouvements écologistes sont aussi l’objet de tentatives de récupération [4]. Le maquillage vert dont voudrait se parer le néolibéralisme ne résiste pas mieux à l’analyse que son maquillage féministe : la droite économique ne cherche pas plus à créer une société écologique qu’à créer l’égalité sociale. Elle promeut activement elle aussi le saccage des ressources naturelles tout autant que des politiques qui accroissent les inégalités sociales.

Dépasser la logique sectorielle

Les liens philosophiques et sociopolitiques entre notre système économique, la destruction de la nature et les oppressions sociales sont solidement démontrés par les analyses écoféministes [5]. Le sexisme, le racisme, l’hétérosexisme, la division sexuelle et internationale du travail ainsi que le complexe militaro-industriel marchent main dans la main pour assurer la domination occidentale du monde et l’appropriation quasi illimitée des « ressources naturelles » par les transnationales.

Plus difficile, c’est de voir comment articuler ces liens sur le terrain des luttes concrètes, telles qu’elles se présentent à nous dans la logique « sectorielle ». Une des stratégies des pouvoirs en place pour se maintenir et tirer profit de l’ensemble de l’organisation sociale est justement de « sectorialiser » la société en domaines administratifs et en champs d’intervention distincts. Les liens systémiques entre les différents secteurs sont ainsi occultés. Nous savons officiellement depuis la publication du rapport Brundtland en 1987, que la relation des humains avec la nature est étroitement liée à l’organisation sociale et économique. Malgré cela, la logique sectorielle continue de nous faire voir les enjeux de justice sociale et les enjeux environnementaux comme des domaines séparés.

Bien que ces séparations soient bien ancrées dans les imaginaires et dans les pratiques, elles ne résistent ni à l’épreuve de l’analyse ni à l’épreuve des faits. Ces enjeux font partie d’un système social et économique global dont chacune des composantes est importante pour le fonctionnement du tout. Cela devient évident dès qu’on aborde sérieusement la question des alternatives aux systèmes économiques et sociaux actuels : comment pourrait-on envisager une société écologique au sein de laquelle perdureraient le racisme, le sexisme, le viol et les exploitations sexuelles, une division sexuelle du travail « traditionnelle » et des injustices et inégalités sociales ? À l’inverse, comment envisager une société juste et égalitaire en dehors d’une perspective écologiste ?

Qu’attendons-nous ?

Malgré tout leur sens et toute leur nécessité, les alliances entre écolos et féministes tardent à se construire. Les questions de justice et d’égalité sociales sont très peu abordées par les mouvements écologistes. Qui plus est, ceux-ci tendent à reproduire en leur sein des dynamiques sexistes et une division sexuelle du travail assez traditionnelle. Du côté des féministes, une réflexion s’amorce sur les liens entre environnement, égalité des sexes et lutte contre la pauvreté, mais il reste encore beaucoup à faire ! Il faut poursuivre dans cette direction, et inciter les mouvements écologistes à intégrer des analyses et des pratiques féministes. Les rapprochements analytiques et politiques entre ces deux mouvements pourraient contribuer à radicaliser la contestation du modèle économique et social actuel, ainsi qu’à élaborer des propositions alternatives.

Alors, qu’attendons-nous ? Nous ne pourrons vaincre la droite, qu’elle soit économique ou sociale, qu’en sortant des sentiers battus et de nos « secteurs » respectifs !


[1Voir le dossier sur les menaces au droit à l’avortement, ÀB ! no 25.

[2Sur les stratégies néolibérales de récupération de certaines luttes féministes, voir De gré ou de force : les femmes dans la mondialisation, Jules Falquet, La Dispute, 2008 – recension de l’ouvrage dans ce numéro.

[3Sur l’impact de la privatisation du système de santé sur les conditions de vie des femmes, voir La privatisation du système de santé, une atteinte au droit à la santé et au droit à l’égalité des femmes, rédigé par Marie Pelchat pour L’R des centres de femmes.

[4Voir « Quand les écolos font le bonheur des néolibéraux… » par A. Kruzynski et M. Silvestro, ÀB ! no 22, p. 41.

[5La référence la plus importante pour l’analyse écoféministe est l’ouvrage de Maria Mies et Vandana Shiva, Écoféminisme, Paris, Montréal, L’Harmattan, 1998, 363 p. Pour une présentation de ces analyses adaptée au contexte du féminisme québécois, voir les articles « Qu’est-ce que l’écoféminisme » et « Vers des écoféminismes québécois ! » par Elsa Beaulieu et Maude Prud’Homme, dans La course à Relais-femmes no 36-37, mai 2008. Voir aussi « Pour un écoféminisme politique ! » par les mêmes auteures, dans Le Féminisme en bref, Fédération des femmes du Québec, numéro spécial, août 2008.

Thèmes de recherche Ecologie et environnement, Féminisme
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