RAF : guérilla urbaine en Europe occidentale

No 027 - déc. 2008 / jan. 2009

Anne Steiner et Loïc Debrey

RAF : guérilla urbaine en Europe occidentale

Lu par Christian Brouillard

Christian Brouillard

Anne Steiner et Loïc Debrey, RAF : guérilla urbaine en Europe occidentale, Paris, L’échappée, 2006, 253 p.

Les mouvements de lutte qui ont secoué la planète en 1968 ne se sont pas tout simplement éteints à la fin de cette année-là. « Affaire non classée » écrivait, très justement, Daniel Bensaïd, ce qui nous amène, par ailleurs, à voir que les suites de 1968 varieront grandement selon les contextes nationaux. En Allemagne et en Italie, ce sera ce qu’on a appelé « les années de plomb », une période qui vit l’émergence de groupes pratiquant la guérilla urbaine, avec pour corollaire une forte répression étatique.

En Allemagne, la lutte armée a été impulsée principalement par la Fraction armée rouge (RAF), constituée vers la fin des années 1960 au fil de rencontres et discussions menées par des militantes et des militants qui avaient fait le constat du cul-de-sac où s’enlisaient les luttes étudiantes tant sur le plan légal qu’extraparlementaire. L’assassinat, le 2 juin 1967, d’un étudiant au cours d’une manifestation à Berlin contre la venue du Shah d’Iran ainsi que l’attentat en avril 1968 contre Rudi Dutschke, leader du mouvement étudiant allemand, ont été des événements déterminants dans la cristallisation de ce constat postulant que, face à la brutalité du système, il n’y avait que la lutte armée qui pouvait amener des changements sociaux significatifs. On peut se douter que face à ce groupe de militantes et militants, décidés à se couper de la société dominante pour « lutter ici et maintenant », une répression physique féroce s’est déclenchée, articulée à une véritable guerre idéologique. Près de 30 années plus tard, il est difficile, à travers l’amas de ragots journalistiques et de sentences moralisatrices, de pouvoir se faire une idée exacte de ce qu’était la RAF, ses structures organisationnelles, ses visions stratégiques et théoriques ainsi que sa composition militante. L’ouvrage écrit par Anne Steiner et Loïc Debrey aux éditions L’échappée, RAF : guérilla urbaine en Europe occidentale, permet enfin d’apporter quelques réponses à ces questions.

Se basant sur les quelques textes théoriques que l’organisation a produits, ainsi que sur des entretiens menés avec d’anciens militants, sympathisants et avocats, le livre trace un portrait qui permet de mieux apprécier la cohérence de la stratégie de la RAF au long des années 1970 ainsi que sa singularité par rapport à d’autres mouvements similaires comme celui des Brigades rouges en Italie. Une singularité qui vient, entre autres, de la rupture qui s’est opérée, à la faveur de la répression dont il était l’objet, entre le mouvement étudiant allemand et la société. À partir de cette rupture, on a pu voir l’aile radicale étudiante former divers organismes (écoles alternatives, communes d’habitation ou collectifs de travail autogérés), constituant ainsi « ce qu’on a appelé le mouvement alternatif ». Entre ce dernier et la RAF, de nombreuses passerelles se sont tissées, ne serait-ce que sur le refus de laisser l’individu être modelé par des conditions « objectives », amenant ainsi la nécessité de créer « immédiatement des parcelles de société nouvelle ou en prenant ici et maintenant les armes ».

Cette volonté de ne pas pactiser avec l’ordre établi, dont on peut, certes, retrouver dans l’histoire des précédents avec les communes anarchistes du début du XXe siècle ou des suites avec le mouvement punk, est intraduisible dans les termes de l’analyse politique dominante : « La RAF est un fait entièrement nouveau et, comme tel, excède toutes les caractérisations. » Excès : le terme nous ramène, comme le souligne les auteurs à la fin du livre, aux commentaires que Camus faisait sur le « terrorisme » dans son ouvrage L’homme révolté : « Cette grande idée que tout idéalisme est creux, s’il ne se paie pas par le risque de la vie, devait être poussée à bout par des jeunes gens qui ne l’enseignaient pas du haut d’une chaire universitaire avant de mourir dans leur lit, mais à travers le tumulte des bombes. » Ce risque, les militants et militantes de la RAF l’ont assumé jusqu’au bout, un grand nombre mourant sous les balles de l’État, au cours de grèves de la faim ou de mystérieux suicides dans les prisons… Comme écrivait la militante de la RAF Ulrike Meinhof : « le problème qu’ils ont avec nous, c’est que notre conscience politique ne quittera pas notre corps sans que ce qu’on appelle vie ne le quitte aussi. »

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