Renégats. Les canadiens engagés dans la guerre civile espagnole

No 060 - été 2015

Michael Petrou

Renégats. Les canadiens engagés dans la guerre civile espagnole

Louis Gill

Renégats. Les Canadiens engagés dans la guerre civile espagnole, Michael Petrou, Lux Éditeur, 2015, 402 pages.

Près de 1 700 volontaires canadiens ont participé à la guerre civile espagnole (1936-1939), la plupart au sein du bataillon Mackenzie-Papineau des Brigades internationales. Quatre cents d’entre eux y ont laissé leur vie. Des centaines d’autres y ont subi de graves blessures ou ont disparu sans laisser de traces. Dans un livre passionnant, le journaliste anglo-canadien Michael Petrou lève le voile sur ce volet peu connu de notre histoire. Il nous révèle que 78 % de ces volontaires étaient des Néo-Canadiens, majoritairement des ouvriers, venus principalement d’Europe centrale et orientale. Sept cents quatre-vingts étaient originaires de l’Ontario, 350 de la Colombie-Britannique, 200 du Québec, dont 59 francophones. Recrutés pour la plupart par le Parti communiste canadien, les deux tiers en étaient membres. Petrou s’est employé à retracer minutieusement l’origine, le métier et le sort de chacun d’eux. Il en présente les résultats dans un tableau détaillé de 40 pages. Cet ouvrage, qui reprend les résultats de sa thèse de doctorat soutenue à l’Université d’Oxford, s’abreuve rigoureusement de divers fonds d’archives, dont celui, conservé à Moscou, de l’Internationale communiste, devenu accessible après l’effondrement de l’Union soviétique en 1991.

Il fait le récit des principales batailles (défense de Madrid, fronts d’Aragon et de l’Èbre) auxquelles les volontaires canadiens ont participé, depuis leur arrivée en Espagne au printemps 1937 jusqu’à leur départ en septembre 1938, au moment où se confirmait la débâcle du camp républicain et la victoire sans appel de Franco. Un récit navrant des rares victoires, mais surtout des défaites et des reculs de ces épris de liberté, qui étaient « mal entraînés, mal armés et bien trop souvent envoyés au combat dans des attaques suicides par des militaires incompétents », dans le contexte d’une aide militaire déficiente et intéressée de l’Union soviétique, surtout préoccupée de se disposer favorablement face au conflit mondial qui se préparait et d’écraser la révolution sociale en marche au cœur de la guerre civile.

Les conditions horribles dans lesquelles les volontaires canadiens ont été amenés à combattre en ont poussé plusieurs à déserter (115, selon Petrou), à réclamer instamment d’être rapatriés, voire à s’automutiler pour se rendre inaptes au combat. Même le plus haut gradé canadien en Espagne, le commandant du bataillon Mackenzie-Papineau Edward Cecil-Smith, aurait tenté de déserter et se serait tiré une balle dans la jambe pour éviter de retourner au front, écrit Petrou.

Des accusations sans fondements d’indiscipline, d’anarchie, de collaboration avec l’ennemi, voire du crime ultime de « trotskysme », proférées dans le contexte de la terreur stalinienne qui sévissait alors en Espagne sous la direction du Parti communiste et des conseillers soviétiques, ont mené bon nombre d’entre eux à des détentions sans procès dans des prisons politiques où ils étaient « soumis par la coercition et une terreur constantes ». Certains ont été exécutés.

Pourquoi ce livre porte-t-il le titre « Renégats » ? Parce que c’est ainsi que le gouvernement canadien considérait les volontaires canadiens en Espagne. En fait, il les considérait comme des criminels. Il faut préciser que les « démocraties » qu’étaient la Grande-Bretagne, la France, les États-Unis et le Canada avaient refusé d’apporter leur aide au gouvernement espagnol démocratiquement élu, à l’assaut duquel le général Franco s’était lancé. Une loi de 1937 avait interdit la participation de Canadiens à la guerre d’Espagne et le gouvernement avait décidé de poursuivre les recruteurs de volontaires, c’est-à-dire le Parti communiste canadien. Même si ces poursuites ont été abandonnées par la suite, et que les volontaires revenus au pays ont été exempts de mesures judiciaires, ces derniers ont continué à être espionnés par la GRC pendant plusieurs années.

Thèmes de recherche Europe, Livres, Histoire
Vous avez aimé cet article?
À bâbord! vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.
Partager sur        

Articlessur le même thème