Sur l’enseignement explicite

No 060 - été 2015

Éducation

Sur l’enseignement explicite

Entretien avec Steve Bissonnette

Normand Baillargeon, Steve Bissonnette

Steve Bissonnette enseigne au niveau universitaire depuis 2008. Il a commencé sa carrière à l’Université du Québec en Outaouais, au département de psychoéducation. Depuis juin 2012, il est professeur à l’unité d’enseignement et de recherche en éducation de la Télé-Université. Son domaine de spécialisation est l’intervention en milieu scolaire. Pendant plus de 25 ans, il a travaillé auprès des élèves en difficulté et du personnel scolaire dans les écoles des niveaux primaire et secondaire ainsi qu’en centres jeunesse. Il s’intéresse aux travaux sur l’efficacité de l’enseignement et des écoles, à l’enseignement expli­cite, à la gestion efficace des comportements ainsi qu’aux approches et moyens pédagogiques favorisant la réussite des élèves en difficulté.

Normand Baillargeon : On rencontre en éducation relativement peu de gens qui partagent vos intérêts de recherche. Pourquoi en est-il ainsi ? Et comment en êtes-vous venu à vous intéresser à ces questions et à ces approches ?

Steve Bissonnette : Depuis l’avènement de la gestion axée sur les résultats en milieu scolaire, la situation a changé. En effet, une telle gestion nous amène inévitablement à poser un regard sur la réussite des élèves, en particulier ceux pour qui l’école doit faire une différence, soit les élèves en difficulté et ceux à risque d’échecs. Pourquoi ceux-ci ? Parce qu’ils sont les plus susceptibles d’abandonner l’école.

À ce sujet, nous pouvons affirmer sur la base de recherches réalisées au Québec qu’il est maintenant reconnu que les difficultés scolaires – qu’il s’agisse d’échecs ou de faible rendement – constituent le principal facteur prédictif du décrochage scolaire. Or, compte tenu des nombreuses recherches sur l’efficacité de l’enseignement et des écoles, les décideurs·euses, les enseignant·e·s et les chercheurs·euses doivent considérer l’efficacité des méthodes et des pratiques d’enseignement utilisées auprès de ces élèves comme étant une stratégie pouvant prévenir le décrochage scolaire.

N.B. : Tentons un exercice de définition. Qu’est-ce au juste que cet enseignement appelé explicite ?

S. B. : Au début des années 1970, des chercheurs ont commencé à observer de manière rigoureuse les comportements des enseignant·e·s en contexte réel d’enseignement dans leur classe. Ces recherches ont permis d’établir une relation entre les actions des enseignant·e·s en contexte réel et l’apprentissage des élèves. Elles ont aussi permis de mettre en évidence le fait que l’enseignant pouvait « faire une différence » pour ce qui est de la réussite scolaire des élèves. Cette influence de l’enseignant·e a été désignée comme l’« effet enseignant ». Les chercheurs se sont également rendu compte que, dans des conditions identiques, on observe une grande variation en matière d’efficacité entre les enseignant·e·s. Il convient alors de se poser la question suivante : comment les enseignant·e·s qui « font une différence positive » enseignent-ils ? Eh bien, ceux-ci enseignent explicitement.

Comme l’indique le terme « enseignement explicite », l’enseignant·e cherche à éviter l’implicite et le flou qui pourraient nuire à l’apprentissage. Pour y arriver, il ou elle met en place un ensemble de mesures de soutien aidant les élèves dans leur processus d’apprentissage. Ces mesures de soutien ou d’étayage passent par les actions de dire, de montrer et de guider les élèves dans leur apprentissage. Dire, au sens de rendre explicites pour les élèves les intentions et les objectifs visés par la leçon. Dire, aussi au sens de rendre explicites et disponibles pour les élèves les connaissances antérieures dont ils auront besoin. Montrer, au sens de rendre explicite pour les élèves l’accomplissement d’une tâche en l’exécutant devant eux et en énonçant le raisonnement suivi à voix haute. Guider, au sens d’amener les élèves à rendre explicite leur raisonnement implicite en situation de pratique. Guider, aussi au sens de leur fournir une rétroaction appropriée, afin qu’ils construisent des connaissances adéquates avant que les erreurs ne se cristallisent dans leur esprit.

La fonction principale de ces mesures de soutien est d’éviter de surcharger la mémoire de travail des élèves. On sait maintenant, grâce aux travaux réalisés sur l’architecture cognitive, que la capacité de la mémoire de travail est limitée, de sorte que, pour faciliter l’apprentissage, il est préférable pour l’enseignant·e de décomposer le savoir ou la compétence à faire acquérir en composantes plus simples que les élèves apprennent progressivement.

N. B. : Comment cela se traduit-il dans la réalité avec des élèves en difficulté ?

S. B. : L’enseignement efficace, particulièrement auprès des élèves en difficulté, est associé à un enseignement explicite. Rosenshine (1986), le père de ce type d’enseignement, indique qu’un enseignement explicite consistant à présenter la matière de façon fractionnée, marqué d’un temps pour vérifier la compréhension, et assurant une participation active et fructueuse de tous les élèves est une méthode d’enseignement particulièrement appropriée pour favoriser l’apprentissage de la lecture, des mathématiques, de la grammaire, de la langue maternelle, des sciences, de l’histoire et, en partie, des langues étrangères.

L’enseignement explicite et systématique est également profitable à tous les élèves quand il s’agit d’une matière ordonnée, d’une matière nouvelle ou complexe, et ce, même avec des élèves plus performants.

L’enseignement explicite se divise en trois étapes subséquentes : le modelage, la pratique guidée ou dirigée et la pratique autonome ou indépendante. L’étape du modelage a pour but de favoriser, auprès des élèves, la compréhension de l’objectif d’apprentissage ; celle de la pratique dirigée leur permet d’ajuster et de consolider leur compréhension dans l’action ; finalement, la dernière étape, la pratique autonome, fournit de multiples occasions d’apprentissage nécessaires à la maîtrise et à l’automatisation de connaissances. Ainsi, l’enseignant modèlera au départ, devant les élèves, ce qu’il faut faire, pour ensuite les accompagner en pratique dirigée afin qu’ils s’exercent à leur tour, de façon à ce qu’ils soient capables, en bout de course, d’accomplir seuls la tâche en pratique autonome. Le questionnement ainsi que la rétroaction devront être constants tout au long de la démarche pour s’assurer que les actions effectuées par les élèves seront adéquates.

Dès la première étape, celle du modelage, l’enseignant·e s’efforce de mettre en place les moyens nécessaires à l’obtention d’un haut niveau d’attention de la part des élèves. Il ou elle se préoccupera ensuite de rendre visible, au moyen d’interventions verbales, tous les liens à faire entre les nouvelles connaissances et celles apprises antérieurement, tout raisonnement, toute stratégie ou procédure susceptible de favoriser la compréhension du plus grand nombre. Lors du modelage, l’information est présentée en petites unités dans une séquence graduée généralement du simple au complexe, afin de respecter les limites de la mémoire de travail.

C’est au moment de la deuxième étape, soit celle de la pratique guidée, que l’enseignant·e vérifie la qualité de la compréhension des élèves en leur proposant des tâches semblables à celle qui a été effectuée à l’étape du modelage, et à travers lesquelles il ou elle les questionnera de façon à installer une rétroaction régulière. Cette étape est favorisée par le travail d’équipe à l’intérieur duquel les élèves peuvent vérifier leur compréhension en échangeant des idées entre eux. Finalement, l’enseignant ne délaissera la pratique guidée pour la pratique autonome, soit la troisième étape, que lorsqu’il se sera assuré que les élèves auront atteint un niveau de maîtrise élevé de la matière à apprendre. La pratique indépendante constitue l’étape finale qui permet à l’élève de parfaire (généralement seul) sa compréhension dans l’action jusqu’à l’obtention d’un niveau de maîtrise de l’apprentissage le plus élevé possible.

N. B. : Que peut-on raisonnablement attendre de la généralisation de telles pratiques ?

S. B. : Tel que mentionné, l’école doit favoriser la réussite des élèves, en particulier ceux qui sont en difficulté. Or pour y arriver, l’enseignement prodigué doit être explicite comme le montrent les résultats de recherches depuis plus de 30 ans. La mise en place de ce type d’enseignement accompagné par diverses mesures de soutien pourrait, dans une perspective longitudinale, non seulement favoriser la réussite scolaire de ce public, mais également réduire le recours aux interventions de remédiation et, surtout, améliorer son taux de diplômation et ses possibilités d’insertion professionnelle dans la société de demain.

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