Colloque du Front commun 2015
Reprendre l’offensive
Le 31 mars dernier, avait lieu à Québec un important rassemblement des membres du Front commun 2015, soit environ 2 500 personnes, réunies lors d’un colloque sur le droit de grève dans le secteur public.
Le Front commun regroupe le Secrétariat intersyndical des services publics (SISP, formé de la CSQ, du SFPQ et de l’APTS), la Confédération des syndicats nationaux (CSN) et la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ). Ces organisations représentent plus de 400 000 travailleuses et travailleurs des réseaux de la santé et des services sociaux, de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la fonction publique du Québec.
Les conventions collectives du secteur public expirant le 31 mars, le Front commun 2015 avait organisé un événement spécial à cette occasion, prenant la forme d’un colloque d’une journée : « Réflexion sur la grève dans le secteur public ». Ce colloque a débuté, en matinée, par des discussions entre membres issus des différentes centrales syndicales et s’est poursuivi en après-midi par des conférences de Jacques Rouillard, Tasha Kheiriddin, Gilles Duceppe, Jean-Noël Grenier et moi-même. Voici en résumé mon propos tenu à cette occasion.
Nécessité d’une solide mobilisation pour déclencher la grève
Il existe parfois un décalage entre les travailleuses et les travailleurs, couramment appelés la base, et l’exécutif syndical en ce qui concerne l’état de la mobilisation. Avant de convoquer une assemblée relative à des propositions d’exercice de moyens de pression, le pouls est parfois très difficile à prendre. Cela immobilise les forces en place. Qui plus est, il peut y avoir distorsion dans l’évaluation de la motivation des membres à adopter de telles mesures, l’exécutif ou la base n’arrivant pas à s’entendre. Il est ici question d’un point crucial pour la réussite de la mise en œuvre d’une grève et pour son efficacité.
Encadrement juridique de la grève
L’exercice du droit de grève dans le secteur public est encadré par le Code du travail ainsi que par d’autres lois particulières. Il est limité dans certaines composantes du secteur public afin de maintenir les services essentiels. Ainsi, les services publics visés par un décret sont assignés au maintien des services essentiels, il en est de même des établissements du réseau de la santé et des services sociaux, de la fonction publique. Le critère essentiel de la détermination des services essentiels réside dans la protection de la santé et de la sécurité publique.
Au-delà de la loi, il faut constater que les services essentiels à maintenir sont de plus en plus importants, réduisant d’autant l’exercice du droit de grève. Cela est le fait des tribunaux, mais aussi des parties au conflit qui, devant la réalité des relations de travail et le contexte socioéconomique, considèrent que le maintien imposé par la loi est parfois insuffisant pour assurer la santé et la sécurité publiques ! Il en va ainsi des CLSC par exemple : normalement assujettis par le Code du travail à assurer 60 % des services, parties patronale et syndicale appliquent le taux de 90 % normalement réservé aux hôpitaux.
Moins il y a de personnel pour assurer le service normal, moins il y a de personnel pour assurer les services essentiels. Mettons un terme à la légende urbaine selon laquelle, en temps de grève, il y aurait plus de personnes sur le plancher qu’en temps normal. Reprenons l’exemple du CLSC dans lequel les parties décident de maintenir 90 % du personnel pour assurer les services essentiels. Le pourcentage s’applique au nombre réel de salarié·e·s en place en temps normal et non à un nombre idéal de personnes qui devrait assurer les services : si dix personnes sont salariées – et bien qu’idéalement, il en faudrait quinze pour assurer le service en temps normal –, une seule personne sera en grève et neuf travailleront pour assurer les services essentiels. En pratique, les salarié·e·s font grève par roulement, soit 10 % de leur temps de travail dans notre exemple, et ce, notamment pour une question de rémunération.
Droit constitutionnel et protection internationale
Depuis janvier 2015, le droit de grève bénéficie de la protection constitutionnelle. Dans un tel contexte, il faut s’interroger, au cas par cas, sur le fait que les services essentiels ne portent pas une atteinte trop importante au droit constitutionnel de faire grève, sachant que dans la balance, il y a la protection de la santé et de la sécurité publiques. Il faut trouver un juste milieu… Pas facile en cette période de coupes massives à la hache gouvernementale !
Par ailleurs, il existe une autre protection du droit de grève, celle-ci se trouve dans les déclarations du Comité sur la liberté syndicale (CLS) de l’Organisation internationale du travail auxquelles la Cour suprême du Canada dit accorder une très haute valeur interprétative. Le CLS a affirmé à plusieurs reprises que le droit de grève était protégé et indissociable de la liberté d’association. Plus encore, il assure que la grève sociale est non seulement autorisée, mais qu’elle permet d’affirmer la dignité des citoyen·ne·s. Par ailleurs, bien que les grèves de nature purement politique n’entrent pas dans le champ d’application des principes de la liberté syndicale, les syndicats devraient avoir la possibilité de recourir aux grèves de protestation, notamment en vue de critiquer la politique économique et sociale d’un gouvernement (le CLS s’était penché sur la question dans le cas no 3011 concernant la Turquie en 2013). Ce même comité affirme qu’une interdiction des grèves sous prétexte qu’elles n’ont pas à voir avec une mésentente liée à la négociation d’une convention collective est contraire aux principes de la liberté syndicale (cas no 2473, Royaume-Uni, 2008).
Le droit de grève du travail, le droit de grève sociale, le droit de grève de protestation sont à notre portée. À nous de jouer !