Les filles voilées parlent

No 027 - déc. 2008 / jan. 2009

Ismahane Chouder, Malika Latrèche et Pierre Tevanian

Les filles voilées parlent

Lu par Nesrine Bessaïh

Nesrine Bessaïh

Ismahane Chouder, Malika Latrèche et Pierre Tevanian, Les filles voilées parlent, Paris, La Fabrique, 2008, 346 p.

En mars 2004, le parlement français interdisait le « foulard islamique » à l’école. Les filles voilées parlent est un recueil de 44 textes où des femmes qui ont choisi de porter le voile témoignent de ce qu’elles ont vécu à la suite de l’adoption de cette loi : exclusion de l’école, violences verbales et physiques, discriminations, humiliations, etc.

Ni pour ni contre le voile, ce livre dénote un travail honnête et sincère pour donner la parole à celles au nom de qui tout le monde parle. Un portrait qui illustre combien ceux qui sont convaincus de détenir la vérité peuvent cacher leur bêtise et leur vocation civilisatrice derrière la « neutralité de l’espace public, de la réaffirmation de la laïcité et de l’émancipation ». Et si la situation en France apparaît de prime abord plus extrême qu’elle ne l’est au Québec, certaines ressemblances avec « notre » crise des accommodements s’affirment avec insistance : les médias comme facteurs aggravants, les musulmans présentés en sanguinaires batteurs de femmes, l’exclusivité de la tolérance et du féminisme réservée à la culture de souche, la définition monolithique de l’émancipation.

Comme Ismahane Chouder et Malika Latrèche le racontent, il a été difficile de trouver des femmes acceptant de témoigner. On peut penser que celles qui s’expriment ici sont les plus grandes gueules, les plus provocatrices. À la directrice qui leur demande de ne pas porter le voile trop long ou de couleur sombre pour éviter de « ressembler à l’Iran », Mariame et ses camarades répliquent de façon irrévérencieuse. Elles s’habillent « une en blanc, une en bleu, une en rouge. Et [restent] toutes les trois côte à côte pour que ça se remarque bien. Les autres élèves étaient morts de rire. »

Plusieurs de ces filles voilées reconnaissent que certaines musulmanes sont forcées par leur entourage à porter le voile. Mais elles présentent cette réalité comme une minorité et proclament leur choix conscient et sans contrainte de le porter. Sihem raconte : « Chez moi si on veut pratiquer, on pratique mais on ne sera jamais forcé. Ma mère ne porte pas le voile… » Sfane renchérit : « Dans l’Islam, on n’a pas le droit de forcer […] une femme à porter le voile. C’est un cheminement personnel. » Une autre souligne que la minorité de filles effectivement contrainte à porter le voile aura tout simplement été retirée de l’école publique depuis l’entrée en vigueur de la loi. Melaaz dénonce le paradoxe de cette loi : « On prétend lutter contre le communautarisme et libérer les femmes, alors que la loi les a confinées dans des endroits clos, isolées du monde extérieur et parfois privées de toute scolarisation. Cette loi est même à mes yeux une loi sexiste puisqu’elle a été élaborée par des hommes et réprime exclusivement des femmes. »

Car ces jeunes femmes qui témoignent de leur expérience sont des filles de la République. Certaines sont des Franco-françaises converties, d’autres des enfants d’immigrants maghrébins. Certaines de ces dernières rappellent que leurs parents ont toujours essayé de ne pas faire trop de remous dans leur pays d’accueil. Mais, comme l’illustre Zeinab, la nouvelle génération ne l’entend pas de cette oreille : « La médiatrice du gouvernement a convoqué les 15 filles voilées du lycée et elle a commencé à nous raconter sa vie : en gros “Je suis musulmane, j’ai un bon taf [travail], j’ai fait ma place, je fais le Ramadan, mais je ne le dis pas, je ne bois pas d’alcool mais je ne le dis pas, parfois je commande même un truc et discrètement je ne le bois pas”. Un discours de dingue qui m’a fait rigoler. »

Les jeunes femmes qui témoignent dans cet ouvrage s’affirment Françaises et refusent qu’on leur lance « si on n’aime pas les lois d’un pays, on va ailleurs », «  vous avez l’air encore trop musulmanes », « vous devez avoir une tenue normale ». Elles répliquent « Nous ne sommes pas des touristes, nous sommes nées ici, nous sommes Françaises. » Elles exigent que la France « accepte que la France a changé » et qu’elle devra désormais composer avec la diversité qui la constitue. Un livre bien proche de « notre » réalité en somme.

Si vous ne connaissez pas de femmes voilées et puisque les médias leur offre si peu d’occasions de s’exprimer, ne manquez pas cette opportunité d’avoir un accès direct à leur opinion.

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