Présentation du dossier du numéro 98
Démasquer la réaction
Le numéro 98 (et son dossier « Démasquer la réaction ») peut être commandé via le site des Libraires.
Quand les drag queens dans les bibliothèques et l’éducation à la sexualité dans les écoles sont attaquées par des « familles inquiètes » ; quand des mobilisations antiracistes historiques subissent la riposte de politiciens et de commentateurs soucieux de préserver l’ordre et la culture ; quand la généralisation du discours féministe dans l’espace public a pour corollaire une remontée du masculinisme le plus crasse ; quand les luttes autochtones rencontrent l’obstination de ceux qui s’affirment plus résolument que jamais chez eux – alors il semble tout indiqué de parler d’un backlash, d’une véritable vague réactionnaire qui se dresse devant des mouvements sociaux gagnant en confiance et en visibilité.
La réaction n’est pas n’importe quelle droite : c’en est une qui répond – par la négative et avec violence – aux exigences croissantes de justice qui émergent en période de crise. Pour la saisir, il faut donc voir ce qui la rapproche et ce qui la distingue du simple conservatisme, du néolibéralisme ordinaire ou du fascisme abouti. Il faut aussi s’atteler à comprendre la conjoncture d’instabilité et de tensions qui appelle ce durcissement des rappels à l’ordre : notre système économique et politique n’allant plus de soi, il devient nécessaire d’identifier des boucs émissaires pour détourner l’attention. Enfin, on ne saurait comprendre le moindrement la réaction sans reconnaître qu’elle est aussi le versant négatif d’une montée en puissance, même minime, de celleux qui luttent pour leurs droits.
Reste que sous ses multiples visages, la réaction demeure fuyante : il est parfois pénible de convaincre les sceptiques qu’on fait bel et bien face à une menace dramatique pour toutes les personnes qui croient un tant soit peu en l’égalité. C’est que les réactionnaires sont passés maîtres dans l’art du demi-mot, du double sens et de la langue de bois. Ils aiment se faire passer pour de simples modérés « qui soulèvent des questions légitimes », voire pour les authentiques héritier·ères de la subversion et des combats historiques d’une gauche aujourd’hui dégénérée. Mais c’est justement là qu’il devient impératif d’appeler un chat un chat.
De là, cependant, le plus dur reste à faire. Il s’agit de faire face à la tempête pour espérer non seulement lui résister, mais plus encore renverser la vapeur et faire que la justice et l’égalité ressortent plus fortes. Après tout, l’ordre fragilisé que la réaction veut préserver par la crispation peut aussi offrir des occasions uniques de bouleversements favorables. Encore faut-il savoir les saisir, ce qui exige une capacité d’organisation et une intelligence stratégique. Or, force est d’admettre que si les remous de nos mouvements de libération peuvent susciter l’inquiétude de la réaction, celle-ci peut compter sur une redoutable force de frappe, tandis que nous n’avons sans doute pas encore la solidité qui permettrait d’en triompher. Nous devons affiner nos discours et nos méthodes, observer l’adversaire pour comprendre ses ruses, mais sans nous laisser imposer un terrain et des règles qui nous seraient défavorables.
Ce dossier veut, modestement, contribuer à cette lutte qui ne peut que continuer. Encore une fois
Dossier coordonné par Nathalie Garceau, Philippe de Grosbois, Samuel-Élie Lesage et Claire Ross
Illustré par Alex Fatta
Avec des contributions de Anne Archet, Élisabeth Béfort-Doucet, Jean-Pierre Couture, Philippe de Grosbois, Maxime Fortin-Archambault, Nathalie Garceau, Miriam Hatabi, Judith Lefebvre, Samuel-Élie Lesage, Gabriel Lévesque-Toupin, Montréal antifasciste et Philippe Néméh-Nombré.