Une science pluriverselle au service du bien commun

Dossier : Sciences engagées

Dossier : Sciences engagées

Une science pluriverselle au service du bien commun

Roxanne Gendron, Baptiste Godrie

L’Association science et bien commun (ASBC) fête ses dix ans d’existence. Elle est issue d’une réflexion commune portant sur la participation citoyenne dans la sphère scientifique et sur le « dialogue science-société », soit l’articulation entre la science et l’espace public. 

Fondée en mai 2011 par Florence Piron (voir encadré) et des collègues du réseau académique, l’ASBC a pour mission la vigilance et l’action en faveur d’une science publique au service du bien commun. Dès le départ, l’ASBC s’est donné comme mandat d’offrir des services d’analyse collective et d’information par le biais d’un blogue et d’un site Internet favorisant le débat public sur les sciences (www.scienceetbiencommun.org), d’organiser des expériences de rencontre entre le monde scientifique et d’autres sphères sociales (ex. le milieu artistique, le milieu politique, etc.) ainsi que des débats publics ou des consultations en ligne sur les politiques scientifiques. Par exemple, un projet Web de démocratie scientifique invitait les Québécois et Québécoises, qu’ils et elles soient chercheur·euse·s ou non, à prendre position sur les rapports entre la science et le bien commun, sur les pouvoirs et les responsabilités de l’État en matière scientifique, sur l’implication du public dans le monde scientifique, ainsi que sur les enjeux d’éthique des sciences, d’intégrité en science, de financement de la recherche et de rapports entre science et industrie. Cette démarche a été présentée et enrichie lors du 80e congrès de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS) en mai 2012 au sein du colloque « La science que nous voulons » organisé par l’ASBC.

Au cours des années qui ont suivi, les politiques d’austérité des gouvernements et la mise sous silence des scientifiques dans l’espace public ont suscité une prise de conscience sociale dans le milieu universitaire. Le mandat d’action politique de l’ASBC s’est fait plus pressant et les membres ont déposé des mémoires auprès des gouvernements fédéral et provincial ainsi qu’auprès des Fonds de recherche du Québec. La prémisse d’une science au service du bien commun y était toujours défendue, avec les objectifs de rendre plus visible la science et d’accroître son rôle au sein des collectivités. Parmi les autres activités mises sur pied au cours de la première décennie d’existence de l’ASBC, citons également la publication d’un bulletin d’information sur les politiques publiques scientifiques, l’édition d’une revue savante multidisciplinaire en ligne en libre accès, la collaboration des membres à l’Encyclopédie pédagogique d’éthique des sciences, l’offre d’un service d’orientation dans le monde universitaire pour les groupes de la société civile, ainsi que la mise sur pied de formations en ligne ou en groupe sur la responsabilité sociale, la science avec les citoyen·ne·s et l’éthique des sciences. 

Un des projets phares, facilitant le dialogue science-société et auquel l’ASBC a donné un appui constant, est celui des « boutiques des sciences » au Québec. Une boutique des sciences est un dispositif participatif de médiation entre université et communauté permettant d’arrimer des besoins de connaissance de la communauté à des compétences de recherche des universitaires et des étudiant·e·s. Les boutiques de sciences offrent ainsi généralement à des organisations sans but lucratif un accès, le plus souvent gratuit, aux connaissances scientifiques produites dans les universités et les centres de recherche. 

Enfin, à l’encontre des pratiques de commercialisation des résultats de la recherche qui restreignent l’accès à la connaissance (par exemple : la publication des articles scientifiques sur des bases de données payantes), l’ABSC défend le libre accès afin que les connaissances scientifiques soient disponibles à toutes les personnes qui le désirent, sans barrière économique ou de statut. L’importance de développer un réel accès libre aux connaissances concerne aussi les universitaires, qui sont des plus en plus incité·e·s à réserver certaines sommes pour financer la publication de leurs travaux selon le modèle « publieur-payeur ». Cela a pour effet d’aggraver les inégalités entre les chercheur·euse·s subventionné·e·s et les autres chercheur·euse·s (étudiant·e·s, chercheur·euse·s non affilié·e·s ou étranger·ère·s, en particulier résidant dans les pays moins favorisés économiquement). 

Une science pluriverselle et participative 

En 2019, les membres de l’Association ont réorienté sa mission vers la reconnaissance d’une plus grande pluralité de savoirs. Comme le dit le sociologue Boaventura de Sousa Santos, le combat pour la justice sociale ne peut se faire sans celui pour la justice cognitive, c’est-à-dire pour la juste reconnaissance de formes de savoir qui ont été ou sont encore disqualifiées dans nos sociétés, notamment en Occident. L’ASBC soutient ainsi que la science devrait devenir beaucoup plus « pluriverselle » en s’ouvrant à ces familles de savoirs. Celles-ci incluent notamment les savoirs et formes de pensées autochtones, ainsi que les savoirs de groupes marginalisés comme les femmes, les minorités, les universitaires autochtones, les universitaires non anglophones ou les universitaires des pays les moins favorisés du Sud. Pour marquer cette réorientation, le mandat de l’ASBC, tel qu’exposé dans sa Charte, est désormais d’appuyer et de diffuser des travaux de recherche transuniversitaires favorisant l’essor d’une science pluriverselle, ouverte, juste, plurilingue, non sexiste, non raciste, socialement responsable et au service du bien commun. 

Les objectifs de l’ASBC sont articulés autour de trois chantiers, chacun s’accompagnant d’un site Web qui en est la vitrine, dans une visée de diffusion publique des savoirs. Le premier est celui des Éditions science et bien commun : fondées en 2015, elles donnent un accès libre et universel, par le biais du numérique, à des livres scientifiques et à des essais publiés par des autrices et des auteurs des pays des Suds et du Nord (www.editionscienceetbiencommun.org). 

Le second est le Grenier des savoirs (initialement la revue plurilingue Sa’ni Bude fondée en 2019), en partenariat avec l’Association Science Afrique. C’est un projet collectif, collaboratif et décolonial d’appui à la publication et à la diffusion en libre accès des savoirs des Suds (www.revues.scienceafrique.org). Enfin, l’Agora Science et bien commun propose des activités publiques dans la lignée de celles organisées depuis la création de l’ASBC (colloque annuel au Québec ou ailleurs, activités publiques) sur sa page Facebook, son site Web et de son infolettre. 

L’ouverture à des formes de savoir marginalisées conduit l’ASBC à promouvoir une seconde ouverture de la science, soit l’ouverture de la production même des connaissances scientifiques afin de permettre aux citoyen·ne·s du monde entier de contribuer à la science avec leurs capacités et expertises, par exemple, par le biais de la science citoyenne, de recherches communautaires ou de projets de recherche-action participative. En remettant en question les divisions traditionnelles entre producteur·trice·s et utilisateur·trice·s des connaissances, ces formes de recherche ont le potentiel d’accroître la pertinence sociale des retombées des projets et de favoriser des transformations sociales au service du bien commun. 

Sur le plan de sa structure organisationnelle, afin d’être en cohérence avec sa mission, l’ASBC utilise une gouvernance inspirée de la théorie des communs, pour laquelle l’appartenance d’une personne à une entité collective se fonde sur ses contributions, quelles qu’elles soient, ne dépendant pas de sa capacité de payer une cotisation. 

L’ASBC vise à ce que les citoyen·ne·s, peu importe les secteurs d’activité dans lesquels ils et elles œuvrent, puissent contribuer à l’avancement des connaissances et à l’accessibilité des savoirs pour tous et toutes, peu importe leur provenance et le chemin vers lequel ils et elles se dirigent. 

 

À LA MÉMOIRE DE FLORENCE PIRON 

Plus tôt cette année, l’ASBC a subi un grand bouleversement. La fondatrice et pilier de l’association, Florence Piron, est décédée : ce fut une perte inestimable tant pour sa famille que pour ses collègues et son grand cercle d’ami·e·s. Malgré tout, les membres sont déterminé·e·s à poursuivre la mission de l’ASBC, en collaboration avec le Fonds Florence-Piron, mis sur pied par sa famille. Ce Fonds a pour mission d’appuyer des étudiant·e·s, chercheur·euse·s issu·e·s de pays des Suds ainsi que des associations dont les travaux de recherche et de publication sont en phase avec les principes de l’ASBC. Le Fonds a une vocation internationale, tout en privilégiant l’Afrique francophone et Haïti, dans le but de favoriser le libre accès des savoirs des Suds. Un comité sera mis en place pour établir les prix annuels, dont le premier sera décerné en 2022. 

Lors du dernier colloque organisé par l’ASBC, dans le cadre du Congrès de l’ACFAS, nous avons pu honorer l’héritage intellectuel de Florence Piron par une table ronde où ses collègues de la première heure, ses ami·e·s et les étudiant·e·s qui ont croisé son chemin ont livré des témoignages permettant de comprendre le cheminement intellectuel, émotionnel et rationnel ayant amené Florence à bâtir un réseau d’engagement citoyen par le biais de l’ASBC.

Une anthologie de textes de Florence Piron sera lancée au printemps 2022 aux Éditions science et bien commun.

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