Google. Ne pas être malveillant

No 090 - décembre 2021

(G)AFAM

Google. Ne pas être malveillant

Yannick Delbecque

En 2015, Google devient Alphabet, compagnie mère chapeautant une diversité d’entreprises et de services. Au moment de cette restructuration, le code de conduite de Google est modifié et ne comporte plus la devise « don’t be evil », pilier de la culture de l’entreprise depuis 2000.

À l’origine, Google est une entreprise Web proposant un moteur de recherche basé sur un algorithme très performant, développé dans le cadre des études universitaires de ses fondateurs. Son efficacité redoutable pour trouver de l’information sur la toile naissante fait en sorte que Google éclipse rapidement la plupart de ses prédécesseurs. Son succès est tel qu’à partir de 2004, on commence à utiliser le verbe « googueler » pour signifier « faire une recherche sur le Web », et ce, dans plusieurs langues. Ainsi, Google est devenu un passage quasi obligé pour toute recherche d’information en ligne. Encore aujourd’hui, environ 87 % des requêtes d’information effectuées sur la toile utilisent Google.

Au fil des années, la compagnie transforme son succès initial en un véritable succès d’entreprise, devenant un empire technologique. En effet, Google est maintenant présent dans plusieurs secteurs Web importants, comme ceux de la diffusion vidéo (YouTube), du courriel (Gmail), de la bureautique (Google Docs) ou de la cartographie (Google Maps et Waze). La plupart de ses produits sont offerts gratuitement. En fait, le cœur de l’entreprise repose sur son secteur de publicité : environ 80 % du chiffre d’affaires actuel d’Alphabet provient de revenus publicitaires.

Série d’acquisitions stratégiques

Mettant à profit sa réputation et le capital financier accumulé pendant ses premières années, Google fait, à partir de 2001, l’acquisition de près de 250 compagnies technologiques. En 2010 et 2011 seulement, ces acquisitions se succèdent au rythme moyen d’une par semaine ! Les compagnies acquises sont choisies pour leur intérêt stratégique permettant de consolider la domination du géant.

Chaque annexion lui permet non seulement d’intégrer à son offre les produits développés par les compagnies acquises, mais aussi d’ajouter aux banques de données de Google les informations qu’elles possèdent sur leurs utilisateur·trice·s. C’est principalement de cette manière que Google est devenu le géant qu’il est aujourd’hui, bien que selon les dires de l’entreprise, il s’agirait plutôt d’un succès atteint grâce à la recherche et à l’innovation, à des projets de recherches créatifs et à sa capacité de donner des conditions de travail de rêve aux nombreux·ses chercheur·euse·s à son emploi.

Voyons les acquisitions les plus significatives. En 2004, Google constate que la recherche d’information géographique compte pour 25 % des requêtes effectuées sur son moteur de recherche. Cela convainc le futur géant d’acheter une série d’entreprises d’information cartographique. Cette acquisition stratégique a donné à Google une position dominante en la matière.

En 2005, Google estime que sa position dominante en tant que moteur de recherche d’information pourrait être compromise s’il ne devenait pas l’outil de recherche le plus populaire ou le plus largement installé sur les téléphones intelligents qui apparaissaient à l’époque. Ce constat le pousse à acquérir Android, une compagnie travaillant justement à développer un système d’exploitation pour téléphone. Pour contrer Apple, Google forme en 2007 l’Open Handset Alliance, un groupe de diverses entreprises liées à la téléphonie cellulaire qui s’engagent toutes à utiliser Android sur leurs appareils. Le géant permet aux membres du groupe d’utiliser Android, mais exige en contrepartie qu’y soient inclus certains logiciels liés à son moteur de recherche et à ses produits. Seize ans plus tard, Android est le système d’exploitation pour téléphones intelligents le plus utilisé, présent dans près de 73 % des appareils. Il est donc peu surprenant qu’en 2018, en Europe, Google ait été condamné à payer une amende de cinq milliards de dollars américains, les ententes de l’Open Handset Alliance limitant la concurrence.

Par ailleurs, en 2006, Google achète YouTube pour 20 milliards de dollars américains. Avec aujourd’hui plus de deux milliards d’utilisateur·trice·s, le site de vidéos en ligne est considéré comme le deuxième réseau social le plus important après Facebook. La publicité sur YouTube rapporte à elle seule environ 11 % des revenus actuels d’Alphabet.

En 2007, Google met la main sur DoubleClic, l’une des premières compagnies de publicité sur le Web. La fusion des informations sur les habitudes des internautes cumulées par Google et DoubleClic permettra à Google d’occuper une position dominante dans le monde de la publicité en ligne. En plus de vendre aux annonceurs des espaces publicitaires sur ses propres pages Web, qui sont parmi les plus fréquentées, l’entreprise possède maintenant l’un des plus importants outils permettant de vendre et d’acheter de la publicité un peu partout sur le Web.

Mainmise sur la publicité en ligne

Google est donc avant tout un géant publicitaire. La compagnie a su habilement utiliser ses multiples applications « gratuites » pour amasser des données sur le comportement des usagers·ère·s du Web. Ces informations permettent de cibler l’affichage publicitaire sur une page Web en fonction de la personne qui la consulte, afin de maximiser les chances que celle-ci achète le produit proposé ou qu’elle modifie son comportement de la manière désirée.

Une part importante de l’activité publicitaire se déroule de manière invisible. Ainsi, chaque fois qu’une page est visitée, une négociation algorithmique quasi instantanée a lieu. En effet, il existe plusieurs « bourses de publicités en ligne », comparables aux places boursières comme le NASDAQ, servant d’intermédiaires entre les annonceurs et les gestionnaires de sites Web.

Google contrôle l’une des plus importantes de ces bourses de publicités. Il détient aussi certains des sites les plus intéressants où annoncer, en plus d’offrir à ses clients d’améliorer le placement des publicités grâce à l’information qu’il détient sur nous. C’est donc sans surprise que, plus tôt cette année, en France, Google a réglé pour 268 millions d’euros une poursuite de l’Autorité de la concurrence, qui l’accusait d’utiliser à son avantage la position dominante conférée par ses outils de placement de publicités. Aux États-Unis, on se questionne présentement sur la possibilité d’imposer des règles aux bourses de publicités qui seraient similaires à celles des places boursières.

De plus, la publicité en ligne devenant plus importante que celle dans les médias de masse traditionnels, des journaux imprimés, disposant aujourd’hui de sites Web, se voient forcés de passer à cette forme de publicité comme source de revenus. Toutefois, les géants comme Google et les autres intermédiaires du complexe marché de la publicité en ligne prélèvent une part importante de ce que les annonceurs paient, réduisant ainsi encore davantage les revenus de publicité pour les médias. Le gouvernement australien a récemment forcé Google à payer les producteurs de nouvelles parce qu’elle utilise leur contenu journalistique pour générer des revenus de publicité.

Autres malveillances

Comme la plupart des grandes entreprises, Google fait de l’évitement fiscal. Par exemple, la compagnie mère Alphabet, tout comme au moins 50 de ses filiales, sont enregistrées au Delaware. Rappelons qu’il s’agit d’un paradis fiscal interne aux États-Unis qui ne taxe pas les bénéfices provenant de biens immatériels, ce qui est très avantageux pour les compagnies du secteur technologique. À cela s’ajoutent différentes stratégies d’optimisation fiscale passant par l’Irlande, les Pays-Bas, les Bermudes ou Singapour.

On associe aussi Google à la surveillance en ligne à cause de la quantité phénoménale de données qu’elle détient sur les internautes. Google prétend que les utilisateur·trice·s de ses produits consentent aux conditions d’utilisation et peuvent régler un certain nombre de paramètres pour contrôler l’accès à certaines informations privées, comme leur localisation. Or, le géant a été reconnu coupable par un tribunal australien d’avoir trompé les utilisateur·trice·s d’Android à cause de la complexité des conditions qu’il leur impose. En Europe, les pratiques de Google font l’objet d’une enquête dans au moins deux causes importantes, intentées par l’autorité allemande antitrust et par l’association la Quadrature du Net.

Bien qu’il soit difficile de faire un examen complet des activités de ce géant, il semble clair que les activités les plus importantes de Google ont fortement contribué à transformer l’Internet libre en un média tentaculaire soumis au capitalisme de surveillance.

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