Geoffroy de Lagasnerie
L’art de la révolte. Snowden, Assange, Manning
L’art de la révolte. Snowden, Assange, Manning, Geoffroy de Lagasnerie, Paris, Fayard, 2015, 210 p.
Dans cet ouvrage alliant analyse et hommage, l’auteur, fortement influencé par Michel Foucault, cherche à cerner la spécificité du militantisme d’Edward Snowden (lanceur d’alerte à l’origine des révélations sur la surveillance de la NSA), de Julian Assange (éditeur de WikiLeaks), de Chelsea Manning (militaire et lanceuse d’alerte pour WikiLeaks) de même que les activistes d’Anonymous.
Geoffroy de Lagasnerie soutient que ces militant·e·s réinventent la manière même de se rebeller contre l’État et de faire de la politique : Snowden, Assange et Manning « mettent en crise la scène politique elle-même ». La publication de câbles diplomatiques américains par WikiLeaks cherchait à « imposer la perception selon laquelle est problématique l’existence, au sein des États, d’une sphère secrète », sphère qui constitue, selon l’auteur, une « privatisation de l’information qui enlève aux gouvernés la capacité de contrôler les gouvernants ». Les gestes de ces activistes visent à retourner le phare de la surveillance en direction de ceux qui la braquent vers les citoyen·ne·s.
De Lagasnerie soutient également que cette nouvelle mouvance activiste développe une conception inédite de la désobéissance et du défi à la loi qui interroge la mise en place du droit lui-même. Contrairement à la désobéissance civile « classique », cette révolte ne ferait pas appel à une conception supérieure du Droit au nom de laquelle on est prêt à se faire arrêter, comme digne sujet de l’État. Comme le montre la mouvance Anonymous, l’action de désobéissance n’est pas forcément assumée publiquement mais est plutôt fuyante. Comme elle n’engage pas l’entièreté de la personne et de son identité, elle est plus accessible aux individus qui ne s’identifient pas comme militant·e·s. Cela nous amène à revoir l’opposition entre engagement politique, forcément public, et action anonyme criminelle, toujours apolitique. Même Snowden et Assange, qui se sont identifiés publiquement, « mettent en cause la notion de sujet responsable » en refusant de faire face à la justice américaine.
Si l’enthousiasme de l’auteur à l’endroit de ces formes souvent méconnues d’activisme est rafraîchissant et l’analyse riche en hypothèses originales, l’ouvrage donne souvent l’impression de prêter des intentions aux acteurs pour mieux étayer la thèse d’ensemble. L’anonymat est-il toujours revendiqué pour lui-même ou est-il parfois un moyen de dernier recours dans un milieu fortement surveillé et réprimé ? Snowden récuse-t-il en toute conscience son appartenance nationale en fuyant les conséquences légales de ses actes ou est-il un patriote qui s’exile dans l’absence de garanties d’un procès équitable ? Peut-on vraiment soutenir que des militantes et militants exilés, emprisonnés et menacés de mort ont refusé la prise de risque traditionnellement liée à la pratique politique ? Soumises à un travail empirique, certaines intuitions de de Lagasnerie auraient gagné en force, d’autres se seraient raffinées, et d’autres n’auraient simplement pas survécu à l’examen. Malgré cela, L’art de la révolte représente une contribution substantielle à la compréhension de nouveaux modes d’action et incite à approfondir la réflexion, ce qui est tout à son honneur.