Fennario persiste et signe

No 064 - avril / mai 2016

Cinéma

Fennario persiste et signe

Un portrait lacunaire

Paul Beaucage

Au fil du temps, Martin Duckworth s’est imposé comme un solide directeur de la photographie et un cinéaste indépendant appréciable aux yeux de différents observateurs du septième art québécois. Dès lors, son plus récent documentaire allait-il lui permettre de représenter adéquatement une figure controversée du théâtre national ?

Duckworth a exécuté la photographie d’une centaine de films et a réalisé lui-même une trentaine de métrages documentaires, qui portent indéniablement sa griffe. Soulignons particulièrement les documentaires engagés qu’il a signés, tels Une histoire de femmes (en collaboration avec Sophie Bissonnette et Joyce Rock [1980]) et Riel Country (1996).

Aujourd’hui octogénaire, éminemment fidèle à ses convictions éthiques et esthétiques, le réalisateur profite de l’achèvement de la pièce de théâtre Motherhouse (2014) par David Fennario pour brosser un portrait de ce dramaturge anticonformiste méconnu. Ainsi que le suggère le titre du long métrage de Duckworth, Fennario persiste et signe (2015) relate le cheminement artistique et personnel de l’auteur de Balconville (1979), de son enfance difficile à nos jours, en passant par l’atteinte d’un certain succès théâtral.

Duckworth et Fennario ont ainsi en commun de nombreuses idées progressistes. Aussi, le principal défi que le cinéaste devait relever consistait-il à atteindre un nécessaire équilibre entre la sympathie naturelle que cet homme ressentait pour Fennario et le regard critique qu’il devait poser sur la vie et l’œuvre de son sujet filmique.

Le contexte de la Première Guerre mondiale

À travers Fennario persiste et signe, Martin Duckworth accorde une place prépondérante au témoignage que lui livre le dramaturge anglo-montréalais auquel il s’intéresse. De façon naturelle, le cinéaste suit Fennario dans différentes parties de la métropole et lui donne l’occasion d’expliquer la démarche qu’il a adoptée pour rédiger sa plus récente œuvre dramatique tout en relatant une partie de son vécu. En outre, Martin Duckworth utilise une caméra particulièrement souple pour révéler au spectateur certaines des activités quotidiennes auxquelles Fennario a pris part récemment. Dès lors, le documentariste met en relief la collaboration de l’écrivain à la mise en scène de sa pièce pacifiste Motherhouse, que l’on a présentée au théâtre Centaur au début de l’année 2015.

Issu d’un milieu défavorisé, David Wiper, alias David Fennario, a graduellement manifesté son originalité dans le monde théâtral de Montréal, durant les années 1970. En créant des œuvres dramatiques qui se nourrissaient grandement de ses expériences personnelles, Fennario a toujours eu soin de procéder à une critique sociopolitique de l’univers dans lequel il se mouvait. Motherhouse s’inscrit dans cette veine narrative puisque le dramaturge y traite de l’existence d’une ouvrière travaillant dans une usine de munitions de Verdun, au Québec, durant la Première Guerre mondiale. Par le biais de cette création, Fennario dénonce l’attitude qu’ont adoptée les gouvernements britannique et canadien de l’époque, lesquels ont envoyé des soldats du Canada au front afin de préserver l’intégrité des territoires qui composaient l’Empire britannique.

L’idéalisation d’un auteur

Le principal défaut du film de Martin Duckworth consiste à dépeindre David Fennario de façon trop favorable pour être convaincante. Sans craindre les hyperboles, le cinéaste élève Fennario au rang des plus grands dramaturges canadiens et fait entendre un témoin qui le décrit comme l’auteur de pièces de théâtre « le plus reconnu du Canada ». Dans cette perspective, le réalisateur représente l’écrivain comme l’espèce de détenteur d’une vérité transcendante qu’on ne remet jamais en question. De plus, les différents intervenants du documentaire louent la constance, le courage et la lucidité de Fennario, mais ils n’émettent guère de réserves significatives par rapport à son itinéraire artistique, personnel et politique.

Globalement, Martin Duckworth ne donne pas la parole à des témoins qui contestent la vision du monde du dramaturge ou ne partagent pas son point de vue par rapport à différents sujets. Bien sûr, l’ancien directeur artistique du théâtre Centaur, Maurice Podbrey, soulignera clairement que Fennario a parfois vexé des employés de son théâtre en affirmant qu’il ne souhaitait plus travailler dans cette enceinte dramatique « bourgeoise ». Néanmoins, sa récrimination aura une portée fort limitée dans la narration, parce que Fennario et Podbrey entretiennent une relation très étroite, voire parce que l’écrivain n’a pas tenu parole, en termes de boycottage des activités du Centaur…

Au final, comme de (trop) nombreuses autres œuvres cinématographiques de cette tendance, Fennario persiste et signe de Martin Duckworth représente un documentaire biographique décevant en raison de l’incapacité du cinéaste à poser un regard critique sur la personnalité qu’il dépeint, et ce, malgré une belle allure stylistique.

En l’occurrence, si Duckworth avait cherché à faire intervenir des spécialistes traitant de l’œuvre de Fennario, de son itinéraire individuel, sans verser dans le verbiage, il aurait pu brosser un portrait particulièrement significatif de cet homme paradoxal, emblématique des conflits qui ont opposé les francophones aux anglophones, les gens de gauche aux gens de droite du Québec, au cours des 40 dernières années. Cependant, en vertu de la vive affection qu’il ressentait pour David Fennario, Martin Duckworth a donné libre cours à un subjectivisme débridé pour décrire l’auteur de manière outrancièrement avantageuse. Il en résulte une œuvre au propos succinct, tant sur le plan artistique que sur le plan sociopolitique, qui laissera le spectateur exigeant sur sa faim.

Thèmes de recherche Cinéma, Histoire
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