Dossier : Repenser l’alimentation

Dossier : Repenser l’alimentation

L’alimentation comme levier de revitalisation

Produire la santé ensemble

Myriam Landry

Les idées d’autosuffisance et d’autonomie alimentaires semblent de plus en plus populaires. Il suffit de nommer l’émission Fermier urbain, animée par Ricardo Larrivée sur les ondes d’ICI Explora, pour démontrer que ces idées sortent du cercle de milieux alternatifs. Pourtant, les pratiques d’autosuffisances alimentaires ne datent pas d’hier.

En Gaspésie, on retrouvait de nombreuses fermes familiales autosuffisantes avant les années 1970. Elles étaient un mode de vie. En parcourant la pénin­sule gaspésienne, on constate que la région témoi­gne de son passé agricole : terres arables en friche, granges et silos à l’abandon. On retrou­vait même, jusqu’en 1961, l’École d’agriculture de Val-d’Espoir. L’anecdote ici n’est pas banale, car c’est dans ce même village que prendra racine, 46 ans plus tard, le laboratoire rural « Produire la santé ensemble » [1].

Né d’une rencontre d’intervenantes des milieux de la santé et agricole et d’un important travail de consultation populaire, Produire la santé ensemble (PSE) s’est donné comme mission d’améliorer la santé globale des gens de la municipalité régionale de comté (MRC) du Rocher-Percé grâce à une alimentation saine, locale et accessible. Au moment de la création de PSE en 2007, la MRC affichait un des taux de dévitalisation les plus élevés au Québec – dévitalisation sociale, culturelle et matérielle. Le soutien de la Politique nationale de la ruralité aura permis au laboratoire un rare travail d’innovations, d’expérimentations et de réali­sations de 2007 à 2014. Au cours de ces sept années, nous avons mis sur pied plusieurs jardins communautaires et des ateliers de cuisine intergénérationnels ; construit un four à pain dans le village de Val-d’Espoir et son moulin à farine ; monté un groupe d’achats ; documenté notre expérience et produit plusieurs outils pour démarrer des projets d’autonomie alimentaire. Ce laboratoire aura aussi permis de revitaliser le tissu social de la MRC et de mettre en valeur son patrimoine agricole.

Une panoplie d’actions et de projets

Le visage de la MRC du Rocher-Percé a changé depuis 2007, mais sa population reste encore aux prises avec des problèmes de faibles revenus et de chômage, d’accès coûteux et plus rare à des aliments sains et à un important manque de ressources en dépannage alimen­taire ; à Chandler par exemple, les familles n’ont droit qu’à deux dépannages alimentaires par année. C’est pourquoi nous outillons et accompagnons la population dans le démarrage de jardins communautaires, d’ateliers de cuisine santé et économique pour tous les groupes d’âge. La réappropriation des pratiques et savoir-faire culinaires et horticoles pourra assurer aux individus une plus grande résilience face à une inflation importante du panier d’épicerie ou à une diminution de leurs revenus.

Entre temps, nous consolidons de nouveaux projets tels que la mise sur pied d’une épicerie-café à Val-d’Espoir, des potagers éducatifs et ateliers culinaires dans les écoles et les CPE, un camp de jour fermier, des jardins thérapeutiques auprès des personnes ayant des problèmes de santé mentale ou de déficience intellectuelle, la création d’un réseau d’alimentation commu­nautaire et plus encore. Cette consolidation nous permet de mieux répondre aux besoins de la MRC en matière de sécurité et d’autonomie alimentaires, tout en ajustant nos pratiques dans les réalités locales changeantes.

La collaboration et la mise en commun des ressources avec les organismes et les institutions de la MRC sont essentielles. Ce partenariat avec les différentes organisations commu­nautaires sur le territoire nous permet de rejoindre les populations vulnérables en développant des projets directement aux points de services (centre d’action bénévole, centre d’aides et de ressources, écoles et CPE) et en organisant des ateliers au sein de nos installations. En tissant de précieux liens avec les acteurs et intervenants, nous créons un espace de rencontres et de mobilisation autour des savoirs et savoir-faire culinaires et maraîchers.

Malgré l’aménagement de potagers dans les écoles, de jardins communautaires dans plusieurs villages de la MRC ou l’abondance des récoltes du potager et de la serre à Val-d’Espoir, le mythe qu’on ne peut pas faire pousser grand-chose en Gaspésie persiste encore dans la population et dans la bouche de nos élu·e·s. Il est malheureux de constater que cette idée puisse nuire au développement de projets comme les nôtres, car l’appui de nos élu·e·s municipaux et régionaux participe à la mobilisation, au maintien et au rayonnement d’initiatives d’autonomie alimentaire. Et avouons-le, leur implication contribue à la santé financière de notre organisme.

La mission que nous nous sommes donnée est une œuvre à long terme. Les actions entreprises s’enracinent sur notre territoire et fleurissent avec succès. Nous poursuivons notre travail de consolidation et d’accompagnement et espé­rons faire germer la graine du changement pour la santé et la revitalisation de notre région.


[1Pour aller plus loin, consulter le site web de Produire la santé ensemble <http://pseobnl.com/> et le bilan complet du laboratoire rural de 2008 à 2014 :

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