Des scabs à l’UQAM !

No 064 - avril / mai 2016

Travail

Des scabs à l’UQAM !

Léa Fontaine

Les professeur·e·s de l’Université du Québec à Montréal, représentés par leur syndicat (SPUQ), vivent avec une convention collective expirée depuis deux ans. Les négociations pour son renouvellement s’étirent depuis environ deux ans et demi. La situation pratique et juridique est particulièrement difficile en raison de l’existence d’autres négociations au sein de l’institution.

Il ne sera question, ici, que de celle des étudiant·e·s employé·e·s de l’UQAM au motif que c’est celle-ci qui amène les profs et chargé·e·s de cours – la direction ne semble pas y être sensible… – à s’interroger sur la question fondamentale du traitement réservé au droit constitutionnel de grève.

Négociations collectives simultanées

Le 7 décembre 2015, le Syndicat des étudiant·e·s employé·e·s de l’UQAM a déclenché une grève illimitée. La convention de ses membres est échue depuis environ deux ans. Les membres du SÉTUE sont embauchés, d’une part, par les départements de l’UQAM à titre de correctrices·teurs, monitrices·teurs et surveillant·e·s d’examens pour les profs et les personnes chargées de cours ; et d’autre part, par les profs, en tant qu’assistant·e·s de recherche à même leurs subventions de recherche.

Les effets de la grève se sont vite fait ressentir sur les épaules de l’ensemble des enseignant·e·s ayant eu accès à l’assistanat, notamment pour les cours. Ceux-ci et celles-ci y ont droit lorsque leur charge de travail est jugée trop importante à partir d’un seuil d’étudiants par classe.

Prenons l’exemple d’une professeure juriste s’étant vu octroyer, lors de la session d’automne 2015, 35 heures d’assistanat pour un cours ; celle-ci a décidé de réserver ces heures uniquement à la correction de l’examen final. Mais la grève des membres du SÉTUE ayant été déclenchée début décembre, les heures dont il était question n’ont jamais été « travaillées ». Début 2016, la direction de l’UQAM, par la voix de son vice-recteur à la vie académique, a enjoint profs et chargé·e·s de cours à corriger les examens et travaux finaux de l’automne 2015, sans bien sûr tenir compte de la surcharge cumulée du travail. Pis, la direction de l’université ne fait pas de cas du fait qu’elle incite, voire oblige, ainsi ses enseignant·e·s à violer le Code du travail.

Violation de l’article 109.1

Aux termes de cet article, pendant la durée d’une grève, il est notamment interdit à un employeur d’utiliser, dans l’établissement où la grève a été déclarée, les services d’un salarié qu’il emploie dans cet établissement pour remplir les fonctions d’un salarié faisant partie de l’unité de négociation en grève. En d’autres mots, cela signifie qu’il est interdit à la direction de l’UQAM d’avoir recours aux professeur·e·s (SPUQ) et aux chargé·e·s de cours (SCCUQ), pour remplir les fonctions des étudiant·e·s salarié·e·s (SÉTUE) en grève.

Signalons que l’article 109.1 du Code du travail n’interdit pas à l’employeur, d’une part, de sous-traiter à l’extérieur de l’établissement en grève, soit hors les murs de l’UQAM, les fonctions des grévistes et, d’autre part, de faire exécuter ces mêmes fonctions par les cadres de l’établissement en grève. Or, la sous-traitance des fonctions des étudiant·e·s employé·e·s, la correction d’examens notamment, aurait été conditionnelle à la remise, de la part des Uqamien·ne·s, des grilles de correction et autres informations nécessaires à leurs tâches – ce qui était loin d’être garanti. Il n’est pas non plus interdit de faire exécuter les fonctions des membres du SÉTUE par les cadres de l’UQAM. Dans notre exemple, c’est le doyen du département de la professeure juriste qui aurait dû corriger les copies, accompagné d’un autre cadre facultaire. C’est-à-dire ces mêmes personnes de la communauté uqamienne qui participent, sous les ordres du recteur, au démantèlement de l’autogestion et de la collégialité de cette université.

Ainsi, réclamer des enseignant·e·s qu’ils et elles violent la loi engendre de grandes tensions et oppositions entre collègues : il faut obéir à la direction, malgré la violation du droit, pour ne pas abandonner ses étudiant·e·s ou il faut respecter le droit point barre – ce qui n’empêche pas d’accommoder certain·e·s étudiant·e·s lorsqu’ils et elles sont dans des situations difficiles. Encore faut-il savoir trouver l’équilibre !

Et la Constitution ?

Une question demeure, et elle est fondamentale : comment peut-on ainsi violer aussi facilement et sans aucune gêne un droit constitutionnel ?

En 2015, la Cour suprême du Canada a en effet affirmé que le droit de grève jouit de la protection constitutionnelle en raison de sa fonction cruciale dans le cadre d’un processus véritable de négociation collective [1]. Un droit qualifié de constitutionnel ne peut être limité que selon des paramètres très clairs comme l’exprime la Charte canadienne des libertés. Parmi ceux-ci, la justification de l’atteinte portée au droit « dans une société libre et démocratique […] doit pouvoir se démontrer et doit être proportionnelle » (article 1er). En l’espèce, il ne semble pas évident que l’atteinte, soit la violation de l’article 109.1 du Code du travail, puisse être justifiée de telle façon.

Des plaintes ont été déposées par des professeur·e·s et chargé·e·s de cours concernant la violation de cet article devant le flambant neuf Tribunal administratif du travail. À peine entré en exercice, celui-ci a différé les audiences, notamment en raison de demandes de report de la direction uqamienne et du changement de présidence, et ce, jusqu’en avril alors que le semestre d’hiver sera quasiment achevé. Pourquoi se presser…


[1Voir Léa Fontaine, « De grève du travail à grève sociale ? », À bâbord !, no 59, avril-mai 2015.

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