Les pensionnats pour autochtones

No 022 - déc. 2007 / jan. 2008

Une histoire méconnue

Les pensionnats pour autochtones

par Claude Rioux

Claude Rioux

Dimanche 28 octobre. Au lendemain de la première projection du Peuple invisible, lors de la conférence de presse protocolaire avec les réalisateurs, Monderie et Desjardins sont flanqués de trois personnages du film, des Algonquins. Dans la salle, des journalistes… et deux douzaines d’Algonquins. Il faut dire que le film était attendu : la veille, plus d’une centaine d’Anishinaabes (« vrais hommes issus de cette terre ») étaient présents à la projection, manifestement émus de voir dévoiler leur Histoire – et leurs « histoires »…

Après quelques questions d’usage, les Algonquins prennent rapidement la parole. Les uns après les autres, une dizaine d’entre eux parlent de l’enfer des pensionnats, qu’on appelle également les écoles résidentielles. Tous racontent un peu la même histoire : un bon matin, l’autobus passe dans le village. Tous les enfant de plus de sept ans sont arrachés séance tenante à leurs familles, emmenés vers une destination inconnue pour eux. Dans l’autobus, ce sont les pleurs, les plus grands réconfortant les plus petits. Ils ne verront leurs parents que huit ou dix mois plus tard, et ce, pour quelques semaines… Tous les Algonquins ayant pris la parole ce matin-là – tous – ont dit avoir été violés par un prêtre.

Les premiers pensionnats pour Indiens ont été établis à Metakatla (1857) et à Mission (1861) ; le dernier à fermer, Akaitcho Hall à Yellowknife, l’a été en 1990. Le 3 janvier 1887, le (premier) premier ministre du Canada, Sir John A. Macdonald, déclare : « Le grand objectif de [la Loi sur les Indiens] est de mettre fin au régime tribal et d’assimiler les Indiens sous tous les aspects pour qu’ils deviennent comme les autres habitants du Dominion, et ce, le plus rapidement possible dans la mesure où ils pourront assumer ce changement. »

C’est aux églises catholique, anglicane, méthodiste et presbytérienne que le gouvernement fédéral donne le mandat de supprimer les langues et les cultures autochtones au moyen d’une éducation religieuse. Des dizaines de milliers d’Indiens – de même que des Métis et des Inuits – y sont « rééduqués » durant le XXe siècle. Des centaines y meurent de maladie, de malnutrition et d’inanition (plusieurs se laissant littéralement mourir de désespoir). Dès 1922, le Dr P. H. Bryce définit cette situation comme étant un « crime national ». Cependant, en 1930, 75 % des enfants autochtones âgés de 7 à 15 ans sont placés dans des pensionnats. En mars 2000, la Commission du droit du Canada les désignait comme des « établissements totalitaires ». Non seulement ces enfants sont-ils les victimes d’un ethnocide planifié, mais des dizaines de milliers d’entre eux y subissent les sévices de prêtres profitant de l’impunité totale pour assouvir leurs plus bas instincts sur les jeunes « sauvages »…

C’est à l’occasion des audiences de Commission royale d’enquête sur les autochtones (1991-1996), que commence à être mise au jour la réalité des écoles résidentielles, notamment à travers les révélations du chef ojibway Phil Fontaine. L’abcès est enfin crevé : des centaines et bientôt des milliers de poursuites judiciaires sont intentées par des autochtones contre les églises et le gouvernement.

En 1998, le gouvernement offre ses excuses à l’endroit des personnes ayant été victimes d’abus sexuels et physiques dans les pensionnats indiens. Un fonds de guérison de 350 millions $ est créé, bientôt suivi d’un programme de règlement de 2 milliards. Depuis le 19 septembre 2007, plus de 71 000 victimes se sont inscrites à ce dernier programme – les paiements doivent en moyenne atteindre 28 000 $.

Les Oblats, la congrégation religieuse ayant administré le plus grand nombre de pensionnats au Canada, a admis en 1991 que « la mentalité créée par l’impérialisme culturel, ethnique et religieux, où les Oblats ont aussi joué un rôle, a constamment mis en péril les traditions culturelles, linguistiques et religieuses des peuples indigènes ».

Plus de 400 ans après la conquête cependant, et malgré toutes ces ignominies, le gouvernement du Canada est l’un des quatre seuls pays à s’être opposé à l’adoption de la Déclaration des droits des peuples autochtones par l’ONU. Et les habitants du village algonquin de Winneway, qui appartiennent à une nation occupant le territoire depuis 6000 ans, louent toujours le lopin où ils sont précairement installés… aux Oblats.

Thèmes de recherche Cinéma, Nations autochtones, Histoire
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