Dossier : Le droit à la ville

Les PPP contre la démocratie ?

« Sortir ça du public »

par Pierre J. Hamel

Pierre J. Hamel

De plus en plus, les voix bien pensantes de l’économie néolibérale canadienne s’élèvent pour obliger les municipalités à avoir recours au PPP. Le ministre des Finances Jim Flaherty affirmait publiquement vouloir le faire en 2006, alors que l’Institut économique de Montréal y consacrait un bulletin entier en septembre dernier [1]. Un rapport commandé par la Fédération canadienne des municipalités met en garde contre les dangers de ce projet [2].

Bien qu’ils ne se réduisent pas à cette seule dimension, les partenariats public-privé (PPP) participent d’un mouvement politique beaucoup plus large visant minimalement à la dépolitisation du processus de décision publique, aspect important sur lequel je voudrais attirer l’attention.

Au-delà de ceux qui y ont un intérêt personnel, la plupart des partisans de la formule des PPP sont sincèrement persuadés que tout irait mieux dans le meilleur des mondes si les politiciens avaient moins de pouvoir et sur moins de choses. Selon leur point de vue, les politiciens sont soit corrompus, soit incompétents en ce sens qu’ils sont proprement incapables de prendre des décisions justes selon les intérêts fondamentaux et à long terme de leurs électeurs. D’une part, piégés par l’obsession de leur réélection, les politiciens seraient en quelque sorte condamnés à se livrer à des contorsions bassement électoralistes ; d’autre part, empêtrés dans beaucoup trop de dossiers concurrents, il leur serait humainement impossible de maintenir le cap sur des objectifs clairs, dans le cadre d’une vision intégrée et entièrement orientée vers l’intérêt public réel, à long terme.

Aux yeux de ces tenants d’une droite qui s’assume, il faut donc casser la machine à dépenser en rond et de façon inefficace. Une « solution » classique est de retirer un service à la responsabilité des élus pour le confier à une « special purpose authority » ; ces organismes unifonctionnels sont théoriquement contrôlés par des « experts » non élus mais nommés, disposant d’une enveloppe budgétaire protégée, tenue à l’abri de toute autre considération, et qui alloueront le budget leur étant confié avec uniquement en tête la pérennisation du meilleur service possible. Cette façon de faire est très fréquente aux États-Unis, où il est de bon ton de se méfier des politiciens en entravant leur marge de manœuvre. C’est un peu la stratégie adoptée par le gouvernement fédéral pour gérer les ports et les aéroports et c’est, semble-t-il, l’orientation du gouvernement du Québec pour solutionner les problèmes en matière de ponts, viaducs et autres infrastructures routières. En fait, on voit constamment réapparaître des revendications semblables, portées par des lobbies qui se sentent oubliés ou floués par les processus politiques, visant à « sortir du politique », à retirer des mains politiciennes le pouvoir de gérer des dossiers comme celui des investissements en santé.

On refuse alors aux élus le pouvoir de procéder à des arbitrages proprement politiques qui, un jour ou l’autre, conduisent forcément à des réajustements de priorités. En fait, en gelant la dotation d’enveloppes protégées, on procède une fois pour toutes et « pour toujours » à un arbitrage « final » et on fixe « à jamais » une répartition des moyens entre diverses fonctions assumées par les gouvernements. Parfois, plutôt que d’assurer une enveloppe budgétaire à même les recettes publiques générales, on concède à l’une de ces agences spécifiquement chargée d’une responsabilité particulière le produit d’un impôt, en tout ou en partie, sans qu’il soit possible d’en transférer une partie vers d’autres postes budgétaires (comme les vilains politiciens ne manqueraient pas de le faire).

C’est un peu dans la même perspective que les PPP permettent, en principe, de garantir une plus grande régularité des investissements, dans la mesure où le contrat « bétonne » le financement d’un service et son rythme d’investissement. Par exemple, en début de contrat, les partenaires peuvent convenir du niveau auquel les investissements devront être maintenus (tout en tolérant quelques variations), en fixant par exemple un seuil minimal ou en établissant une cible en ce qui a trait au niveau minimal de qualité à conserver, ou en définissant des seuils de détérioration au-delà desquels la situation serait inacceptable. Plus généralement, les promoteurs de la formule des PPP prétendent que, dans le cadre même de la poursuite de ses propres intérêts, le partenaire privé aurait tout avantage à agir « en bon père de famille » et à se contraindre de lui-même à respecter non seulement la lettre mais même l’esprit du partenariat. Mais cet espoir de garantir un rythme d’investissement régulier résiste difficilement devant l’examen de plusieurs cas concrets [3].

En somme, on nie aux élus et à leurs fonctionnaires la capacité et le droit de procéder à des arbitrages, de faire des choix entre des priorités toujours toutes plus prioritaires les unes que les autres : on conteste l’idée même de faire et de refaire des choix politiques, au gré de la conjoncture. C’est tout juste si on concède aux élus le droit de créer ces agences ou d’octroyer des contrats de PPP.

Tant qu’à massacrer la démocratie, il y aurait mieux encore : ce serait que l’État se retire complètement de pratiquement tout, sauf le fait de déclarer la guerre (en laissant à des entreprises le soin d’embaucher des mercenaires) et de voter des lois, et encore. La meilleure stratégie est alors de laisser la main invisible du Marché faire le bonheur de l’humanité, toutes les fois que c’est possible. Autrement, les PPP sont tout de même un bon deuxième choix.


[1L’IEDM fait dans ce bulletin la promotion d’un programme qui « pourrait prévoir un recours plus important à des fournisseurs privés pour les services municipaux et encourager, voire rendre obligatoire, la mise en concurrence d’un grand nombre de services actuellement pris en charge par les administrations publiques locales ». À lire en tapant dans son fureteur les mots : IEDM et services municipaux.

[2On trouvera un rapport récent sur les PPP rédigé par Pierre J. Hamel à la demande de la Fédération canadienne des municipalités en tapant dans son fureteur les mots : INRS PPP.

[3Voir la note précédente.

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