Albert Libertad
Le culte de la charogne. Anarchisme, un état de révolution permanente (1897-1908)
lu par Christian Brouillard
Albert Libertad, Le culte de la charogne, Anarchisme, un état de révolution permanente (1897-1908), Marseille, Agone, coll. « Mémoires sociales », 2006, 508 p.
La colère du prophète
Il y a une énergie et une exigence peu communes qui se dégagent des textes d’Albert Libertad, textes réunis sous le titre Le Culte de la charogne et que nous proposent les éditions Agone. La personnalité même du militant anarchiste Libertad, de son vrai nom Albert Joseph, explique, en partie, le caractère passionné de ces écrits. Victor Serge, révolutionnaire d’origine russe qui le rencontra à Paris au début du XXe siècle, donne, dans ses mémoires, ce portrait de Libertad : « Violent et magnétique, il devint l’âme d’un mouvement d’un dynamisme extraordinaire ». Refusant les promesses d’un bonheur futur et appelant à faire ici et maintenant la révolution, les paroles et les actes de Libertad apparaissaient pour beaucoup comme un scandale et une provocation. Comme pour tout prophète, c’est moins l’appel à la venue d’une meilleure société qui irritait que les dénonciations implacables de toutes les compromissions faites autant par ceux et celles qui prétendaient (et prétendent encore…) changer le monde que des opprimés eux-mêmes. Le titre du livre s’explique alors assez bien. La charogne dont il est question désigne le militarisme, l’État ou le patronat. Le culte dont ces charognes sont l’objet, c’est celui que le petit peuple lui voue : « Tu te plains, mais tu veux le maintien du système où tu végètes… Tu es toi-même ton bourreau. De quoi te plains-tu ? ». Il y a des accents qui font immanquablement penser à de La Boétie (Discours de la servitude volontaire) ou à Lafargue (Éloge de la paresse) dans ce discours vengeur. Pas étonnant alors qu’on se soit empressé d’oublier cet empêcheur d’exploiter en rond… Saluons donc la publication de ce recueil qui ramène à la mémoire les éclats de la « colère du juste » pour reprendre le très beau titre de la préface écrite par Alain Accardo. En espérant que cette colère puisse continuer à gronder.