Nomination de Steven Guilbault à l’Agence d’efficacité énergétique
Quand les écolos font le bonheur des néolibéraux...
par Anna Kruzynski et Marco Silvestro
Dernièrement nous apprenions que Steven Guilbault, environnementaliste vedette récemment passé de Greenpeace à Équiterre, sera nommé par le gouvernement libéral à l’Agence d’efficacité énergétique (Le Devoir, 14/11/2007), laquelle relève du ministère du Développement durable et des Parcs, où il devra évoluer avec de gros partenaires corporatifs. Le lendemain, nous fûmes proprement abasourdies de lire que, par ailleurs, Équiterre raffermissait son partenariat avec l’Union des producteurs agricoles (UPA) en lui « prêtant » Frédéric Paré, autre environnementaliste connu pour son travail pionnier en agriculture et en alimentation. L’UPA, selon son président Laurent Pellerin, « n’est pas très éloignée des préoccupations d’Équiterre en matière agricole » [1].
Le gouvernement libéral et l’UPA sont – chacun à leur manière – des acteurs-clés dans l’application et le renforcement des politiques néolibérales qui facilitent la (re)colonisation des terres et des peuples. Cette conquête productiviste qui se fait au détriment de l’environnement se manifeste notamment par l’exploitation des ressources naturelles et par l’agrobusiness.
Par conséquent, nous ne comprenons pas ces écolos qui s’allient à ceux qui détruisent l’environnement ou bloquent tout changement. Nous sommes d’avis que de telles collaborations accordent légitimité aux dirigeants néolibéraux et, par le fait même, rendent plus difficile le travail de ceux et celles luttant pour des changements profonds au système productiviste qui est à la racine du problème.
Une stratégie concertée
Les promoteurs du néolibéralisme ont développé depuis longtemps une stratégie de relations publiques, connue comme le greenwashing – le lavage de cerveau par la fabrication d’une image verte. Andy Rowell, collaborateur à l’ouvrage Battling Big Business : Countering Greenwash, Infiltration and Other Forms of Corporate Bullying [2]explique cette stratégie, dite des 3-D (Deny, Delay and Dominate). D’abord nier que l’acte ou le produit nuira à l’environnement ; ensuite retarder l’adoption de toute politique ou pratique visant à le protéger, mais qui pourrait ralentir l’accumulation des profits ; enfin, dominer toute négociation sur de potentielles solutions au problème. Toujours selon Rowell, les stratèges néolibéraux auraient récemment rajouté un quatrième D à leur boîte à outils : le Dialogue.
Depuis les années 1990, des économistes constatent que les inégalités générées par la mondialisation risquent de provoquer des révoltes populaires dans le « tiers-monde » et rendre quasi impossible la poursuite de ce projet ici, dans les pays dits « démocratiques ». Les stratèges mettent alors de l’avant l’idée de faire collaborer les acteurs de la « société civile » au développement politique et économique. Émerge ainsi la notion de « bonne gouvernance » incluant toutes les « parties prenantes ». Il s’agit concrètement d’inviter les groupes d’opposants à s’asseoir à la même table que les chefs d’entreprises, les représentants politiques, les ONG et autres intéressés. Un bon exemple est l’inclusion d’ONG et de déléguées du Forum Social Mondial au Forum économique de Davos depuis quelques années. Cette stratégie, axée sur le « dialogue » et la « concertation », vise explicitement à calmer l’opposition en la détournant des stratégies et des actions autonomes qui, l’histoire nous l’enseigne, sont essentielles à toute lutte pour la justice sociale.
Avec une telle stratégie, les dirigeantes font d’une pierre deux coups. D’un côté la bonne gouvernance contribue à dorer leur image, ce que des relationnistes s’empressent de propager. Ils peuvent ainsi répondre face aux critiques qu’ils participent, de concert avec des groupes militants, à la réduction de la pauvreté, à la création d’emplois, à la protection de l’environnement. De l’autre côté, les quelques écolos inclus dans cette concertation institutionnelle sont noyés dans la masse et le pouvoir des acteurs présents – et perdent leur liberté de parole. Ils sont, en d’autres mots, cooptés ; ce qui signifie que même si les dirigeantes condescendent à envisager les problèmes environnementaux, ils les règleront de façon à ne pas nuire à leur propre stabilité. Les organisations ou les individus cooptés perdent généralement leur autonomie et leur capacité à définir les enjeux. Dans ce contexte de double légitimation, il devient plus difficile pour ceux et celles cherchant à provoquer des changements profonds de les revendiquer.
Personne ne nous fera croire que, malgré toutes leurs qualités personnelles et le soutien de la machine d’Équiterre, ces deux militants pourront, de l’intérieur, faire bouger significativement l’État ou l’UPA. Ceux-ci n’apprendront rien des écolos : ils connaissent déjà les conséquences de leurs actes et ils les posent quand même, dans leur recherche inextinguible de profit et de croissance. Il y a des gens qui aujourd’hui doivent se réjouir de voir que Guilbault, Paré et Équiterre sont tombés dans le panneau et servent dorénavant leurs intérêts.
[1] Fabien Deglise, Le Devoir, 15/11/2007.
[2] Dirigé par Eveline Lubbers, 2002, Common Courage Press, Maine.