Révolte étudiante et mobilisation à une époque raisonnable
Les défis face au dégel des frais de scolarité
par Joëlle Bolduc
Les associations étudiantes membres de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ), réunies en congrès les 20 et 21 octobre 2007, ont décidé de suspendre leur campagne de grève générale illimitée pour se concentrer « sur l’organisation des journées de grève des 14 et 15 novembre 2007 dans l’optique d’une continuation de l’escalade des moyens de pression jusqu’à l’hiver [1] ». Cette décision vient après que plusieurs assemblées générales, surtout dans les cégeps, aient voté contre la grève générale, sauf à l’UQAM où quatre des sept associations étudiantes facultaires avaient obtenu un mandat de grève générale illimitée dès la mi-octobre. Devant le risque d’une grève presque entièrement portée par l’UQAM, faible et sans résultat, les membres de l’ASSÉ ont jugé qu’il était plus stratégique d’intensifier les campagnes d’éducation populaire, les formations pour les exécutantes et l’organisation de journées d’actions nationales afin de bien préparer le terrain pour l’hiver.
Que la grève générale n’ait pas lieu cet automne n’est, en soi, pas dramatique. Nous avons d’ailleurs assisté à un scénario semblable à l’automne 2004 : l’ASSÉ mobilisait en vue d’une grève à l’automne et c’est finalement en février 2005 qu’a débuté ce qui a été la plus grande grève étudiante de l’histoire du Québec. On ne peut pas sous-estimer l’ampleur du travail d’information à réaliser auprès des nouveaux et nouvelles étudiantes à chaque automne, d’autant plus lorsqu’il s’agit de mobiliser pour une grève.
Quelque chose est toutefois différent cette fois-ci. L’attaque du gouvernement Charest contre le principe d’accessibilité aux études postsecondaires, que constitue l’annonce du dégel des frais de scolarité, est beaucoup plus insidieuse. Le gouvernement nous impose un dégel « raisonnable », soit 50 dollars par session. En contraste avec l’affront plus direct contre l’aide financière aux études de 2004, où les étudiantes les plus pauvres avaient vu leur endettement doubler du jour au lendemain, ce dégel raisonnable semble bien inoffensif et nous fait oublier la logique dans laquelle il s’inscrit : celle de la privatisation des biens et services publics.
Comme l’a écrit Michel van Schendel [2], « le grand entrepreneurship capitaliste actuel d’État ou surtout privé a beaucoup appris. La finesse de ses techniques a plus de perversité. En décentralisant, en morcelant, en paraissant ne rien dicter hormis les saintes “lois du marché”, il devient plus invasif… Il répand l’angoisse et le soupçon, jamais la clarté : arme formidable de déstabilisation et de conformisation. Dans le secteur universitaire comme dans les autres champs sociaux, par imposition d’un “coût minimal” qu’accompagnent les opportunes coupures budgétaires, il parvient à diffuser un modèle unique d’industrie… Une dictature rampante a plus de puissance, atteint de meilleurs résultats sur la voie du totalitarisme qu’une dictature déclarée. Nous ne faisons que commencer d’apprendre l’alphabet de cette analyse, indispensable à la révolte, puis à l’attaque [3] ». Voilà le défi auquel doivent s’attaquer les étudiantes déterminées à se battre pour une société plus juste et plus équitable, fondée sur la solidarité et le respect de nos droits les plus fondamentaux. Nos dirigeantes politiques et économiques ont bien appris leurs leçons systémistes : ne pas créer de grands remous, y aller à petites doses. Ainsi, toutes les parties du système ont le temps de s’adapter et ainsi maintenir leurs fonctions paisiblement.
En créant l’apparence d’absence de crise, le gouvernement Charest a réussi à plaquer la mobilisation étudiante cet automne, à créer de la confusion et des doutes envers le bien-fondé d’une grève générale. Même si, en assemblée générale, la majorité des membres semblent d’accord avec le principe de l’accessibilité aux études postsecondaires et même avec celui de la gratuité scolaire, il reste qu’ils ne sont pas prêts à faire la grève pour le moment. Les sacrifices qu’on leur demande semblent beaucoup plus grands que les gains potentiels à retirer d’une telle action, surtout pour les étudiantes du cégep qui ne sont pas directement touchées par le dégel.
De plus, beaucoup d’étudiantes ont peine à voir l’escalade des moyens de pression qui a eu lieu depuis la manifestation de l’ASSÉ du 29 mars 2007. Ils semblent surpris qu’on leur demande de faire la grève alors qu’on n’aurait pas épuisé tous les moyens de faire valoir les revendications étudiantes. Dans ce contexte, les associations étudiantes membres de l’ASSÉ ont probablement fait le bon choix en décidant de prendre le temps de continuer les campagnes d’éducation populaire et d’information sur les enjeux du dégel et de mettre en place une véritable escalade des moyens de pression. En démocratie, il faut parfois être patient, car convaincre les gens peut s’avérer une tâche plus difficile qu’on ne le pensait. Reste maintenant à trouver les bonnes stratégies…
[1] « Résumé des mandats du congrès des 20-21 octobre 2007 » sur le site Internet de l’ASSÉ (www.asse-solidarite.qc.ca).
[2] Écrivain et professeur de littérature à l’UQAM, Michel Van Schendel (1929-2005) a été président du Syndicat des Professeurs de l’UQAM pendant la grève de 1976-1977.
[3] Michel Van Schendel, « La réforme Després, histoire et actualité d’une lutte », dans Syndicat des professeurs et professeures de l’UQAM, 25 ans de syndicalisme universitaire, analyses et discussions, no 5, hiver 1996, p. 66-67.