La bidonvillisation de la planète
par Anne Latendresse
Le phénomène d’urbanisation galopante gagne aujourd’hui les pays en voie de développement (PVD) dans un contexte marqué par la mondialisation néolibérale et les impacts des programmes d’ajustements structurels, tout cela aggravé par une crise environnementale.
Voici quelques constats pour en comprendre l’ampleur.
1. L’urbanisation et la croissance économique ne vont pas toujours de pair. Dans la majorité des PVD, la poursuite de l’urbanisation sans croissance se traduit par une augmentation de la pauvreté urbaine qui touchera, selon l’ONU, entre 45 et 55 % de la population urbaine en 2020. On parle ainsi d’une « urbanisation de la pauvreté ».
2. Dans la majorité des PVD, les capacités d’absorption en matière d’emploi et d’habitation ne rencontrent pas le rythme d’accroissement de la population urbaine. Le contexte du désengagement de l’État n’a fait qu’accroître les inégalités et la ségrégation des espaces urbains.
3. La croissance de l’urbanisation et de la pauvreté renvoie directement à la question de l’habitation. 43 % de la population urbaine des PVD habite dans les bidonvilles en 2004 (78 % dans les pays moins avancés). La Planète bidonville de Mike Davis (2005) s’est imposée avec 900 millions de personnes qui vivent aujourd’hui dans ces zones d’habitat informel (2 milliards prévus dans 30 ans).
4. La croissance de l’urbanisation pose avec acuité la question de l’environnement. Les villes sont associées à des modes de consommation en contradiction avec une perspective de développement viable. Elles sont de grandes consommatrices d’eau. Une grande partie des 900 millions d’habitants des bidonvilles n’a accès qu’à 5 à 10 litres d’eau par jour. Pour satisfaire les besoins humains fondamentaux, l’individu doit disposer de 20 à 50 litres d’eau exempte de contaminants.
Mais, au-delà de ces statistiques, un regard s’impose sur les conditions de vie des citadins des pays en développement, et en particulier ceux des bidonvilles. La liste de problèmes est longue. Mike Davis (2006), dans son célèbre ouvrage Le pire des mondes possibles, trace un portrait impitoyable de cette réalité qui ne relève malheureusement pas de la fiction ! Sa thèse, celle de la responsabilité des grandes institutions internationales comme la Banque mondiale et l’échec des politiques urbaines et des programmes mis en œuvre par les agences tant nationales qu’internationales, est aujourd’hui appuyée par les rapports récents publiés par UN-Habitat. Selon ces derniers, l’objectif qui vise l’amélioration de la qualité de vie de 100 millions d’habitants dans les bidonvilles d’ici l’année 2020 semble désormais de plus en plus irréalisable (UN Habitat 2003). Plusieurs chercheurs et spécialistes des questions urbaines dans les pays en développement n’hésitent pas à parler de crise urbaine.