Cinéma
Le peuple invisible, de Richard Desjardins et Robert Monderie
vu par Claude Vaillancourt
Productrice : Colette Loumède, ONF, 2007, 93m.
Difficile de ne pas sortir stupéfié de la projection du film Le peuple invisible de Richard Desjardins et Robert Monderie. Les cinéastes nous montrent un véritable tiers-monde au Québec, des citoyens laissés dans la misère, abandonnés de tous et qui vivent loin de nos regards. Avec courage et ténacité, évitant toute forme de voyeurisme, ils nous font entrer dans l’intimité du peuple algonquin, victime du rejet forcé de traditions millénaires et de la dépossession d’un immense territoire. Nous suivons les pas de Richard Desjardins, qui se fait tantôt pédagogue, expliquant le sort des Algonquins par une brillante leçon d’histoire, tantôt confident, sachant soutirer, chez des gens qu’il a su approcher avec tact, d’inquiétantes révélations. Des révélations reliées à l’expérience confondante du déracinement. Les plus troublantes d’entre elles : celles d’adultes qui se remémorent le moment où ils ont été séparés de leurs parents pour aller dans des écoles tenues par les Oblats, qui les ont violés à répétition. Depuis, le mal se perpétue. Des adultes alcooliques et désespérés reproduisent douloureusement certains comportements dont ils ont été victimes. Et, confinés dans leurs réserves, isolés du monde, ils développent des liens consanguins…
Le film reste remarquable par la délicatesse et la sensibilité avec lesquelles sont abordés ces problèmes majeurs et d’autres encore. Certes, les coupables sont pointés du doigt : l’homme blanc qui, imbu de sa supériorité, a cru parvenir à assimiler sans heurt un peuple riche d’une histoire de près de 6 000 ans ; ses représentants qui ont dépossédé les Algonquins de leurs terres sans prendre la peine d’établir de traités, et dont certains ont brisé la vie de nombreux enfants. Mais le tandem de cinéastes questionne aussi les Algonquins eux-mêmes, divisés, en partie responsables de leur misère, retournant contre eux leur violence et leurs frustrations.
Comme dans L’erreur boréale, Desjardins et Monderie parviennent à réaliser un documentaire qui non seulement établit avec intelligence un constat dérangeant, mais qui, tout en évitant le moralisme, incite à corriger la situation. Ils donnent ainsi au documentaire une force peu commune : interpellant les spectateurs sur des sujets vitaux, par des images et des faits à la limite du soutenable, ils secouent l’indifférence et l’inertie dans lesquelles il semble parfois si facile de sombrer.