Dossier : Résilience écologique. Résistance ou résignation ?
Migrations climatiques. Faire face à l’inévitable
Alors que nous assistons à une augmentation fulgurante des catastrophes climatiques, menaçant le mode de vie et l’habitat de milliers de personnes, les États enregistrent un nombre grandissant de mouvements de population. Il suffit de regarder les vagues de personnes migrantes ayant déferlé sur l’Europe en 2015 ou l’afflux de migrant·e·s venu·e·s d’Amérique latine à la frontière canado-américaine en 2018 pour en mesurer l’ampleur.
La dégradation de l’environnement ainsi que les phénomènes climatiques extrêmes ne sont pas étrangers à ces mouvements de population. En effet, alors que de nombreux pays d’Asie et États insulaires voient le niveau de la mer monter de façon inquiétante, plusieurs pays d’Afrique subsaharienne et du Moyen-Orient font quant à eux face à une désertification grandissante, rendant impraticable l’agriculture comme mode de subsistance. Les pays d’Amérique latine affichent eux aussi une grande vulnérabilité aux phénomènes climatiques extrêmes, affectant grandement les conditions de vie des habitant·e·s.
Avec l’intensification à venir des changements climatiques, les flux migratoires subiront la même tendance, forçant de nombreux États à gérer l’afflux de migrant·e·s sur leur territoire. Jusqu’à présent relativement épargnés, le Canada et le Québec ne feront pas exception à cette réalité. Déjà, on assiste aux déplacements de plus en plus nombreux de personnes issues des Premières Nations vers des villes du sud du pays en raison des changements climatiques.
Dans ce contexte, comment s’adapter en tant que pays appelé à accueillir ces personnes migrantes ? Faisons d’abord un survol de la situation.
Une hausse marquée d’ici 2050
Les expert·e·s estiment qu’entre 25 millions et un milliard d’êtres humains pourraient migrer en raison des changements climatiques d’ici 2050 [1]. Si l’écart entre ces projections peut sembler important, c’est que la définition même des migrations climatiques ne rallie pas l’ensemble des expert·e·s, et ce, pour deux grandes raisons. D’abord, le caractère soudain et imprévisible des changements climatiques rend complexe toute estimation. Ensuite, il est difficile d’isoler le facteur climatique ou environnemental en tant que cause unique de la migration. Souvent, les événements climatiques comme les catastrophes naturelles ou les dégradations de l’environnement viennent exacerber des dynamiques migratoires déjà existantes.
Néanmoins, les chiffres actuellement disponibles sont inquiétants. En 2018, selon le Internal Displacement Monitoring Center (IDMC), 17,2 millions de nouvelles migrations internes ont été dénombrées à la suite de catastrophes naturelles [2]. Cela représente environ deux migrations internes sur trois. Au Canada, les personnes issues des Premières Nations étaient affectées de façon disproportionnée, représentant 78% des personnes migrantes canadiennes [3]. Année après année, ces chiffres sont en augmentation et laissent présager un avenir sombre à l’échelle planétaire.
Une terminologie qui ne fait pas consensus
Réfugié·e·s. Exilé·e·s. Migrant·e·s. Voilà des termes souvent utilisés comme des synonymes pour définir les personnes qui quittent leur milieu de vie. Pourtant, ces termes renvoient à des réalités bien différentes.
Le terme réfugié est tiré de la Convention relative au statut des réfugiés, dite Convention de Genève, adoptée en 1951. Il désigne toute personne « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité́ et qui ne peut, ou du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». Plus général, le terme migrant désigne quant à lui « toute personne qui quitte son lieu de résidence habituelle pour s’établir à titre temporaire ou permanent et pour diverses raisons, soit dans une autre région à l’intérieur d’un même pays, soit dans un autre pays, franchissant ainsi une frontière internationale ».
Si plusieurs sont tentés d’utiliser le terme réfugié pour définir les personnes qui quittent leur milieu de vie en raison des changements climatiques, cette utilisation est erronée. En effet, les changements climatiques n’apparaissent pas comme un motif de persécution comme l’entendait le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. De plus, la notion de réfugié renvoie aux déplacements interfrontaliers de population, alors que les migrations climatiques ont actuellement tendance à être des déplacements d’abord à l’intérieur des frontières de pays, comme c’est le cas dans des pays durement touchés par les changements climatiques comme le Bangladesh.
Au-delà du défi terminologique, cette inéquation entre la Convention de Genève et la situation des migrant·e·s climatiques soulève un enjeu de taille, soit l’absence de protection qui leur est offerte. En effet, aucun outil juridique ne protège actuellement les droits de ces individus, alors en proie à des situations d’injustice et de non-respect de leurs droits fondamentaux.
Rôles et responsabilités des États
Un grand paradoxe entoure les changements climatiques : les États ayant généré le plus d’émissions de gaz à effet de serre (GES) pour assurer leur développement ne sont généralement pas ceux qui seront les plus directement touchés par les effets des changements climatiques.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2018, les trois pays ayant produit le plus d’émissions de GES par habitant étaient l’Australie (16,88 tonnes/habitant), les États-Unis (16,56 tonnes/habitant) et le Canada (15,33 tonnes/habitant). Inversement, selon le Climate Change Vulnerability Index, un indice qui évalue le niveau de vulnérabilité des populations humaines aux événements climatiques extrêmes et aux changements climatiques, les trois pays les plus vulnérables aux changements climatiques étaient en 2017 la République centrafricaine, la République démocratique du Congo et Haïti, des pays produisant moins de 0,30 tonne de GES par habitant.
Cette situation fait ressortir une profonde iniquité qui amène des spécialistes comme Stephen Kaaduli à réclamer justice et réparation de la part des gouvernements envers les populations qui subissent les effets des changements climatiques et sont forcées de migrer.
Entre devoir éthique et vision d’avenir
Dans le contexte où les flux migratoires liés aux changements climatiques s’accentueront ici comme ailleurs, il est du devoir des gouvernements de mettre en place les mesures pour assurer une migration sûre et sécuritaire, plutôt que de tenter de réduire les flux de migration.
En l’absence d’une réponse coordonnée et adaptée facilitant les migrations volontaires, les conséquences peuvent être importantes sur les pays d’accueil. Urbanisation croissante, pression sur les infrastructures, conflits, dégradation de l’environnement sont quelques risques que courent les pays appelés à recevoir les personnes migrantes dans le contexte de déplacements forcés.
Au Canada, la pression est de plus en plus forte de la part des expert·e·s et de la société civile pour inciter les différents paliers de gouvernement à faire face à leur devoir à l’égard des migrant·e·s climatiques en assouplissant leurs politiques d’immigration et en assurant leurs besoins de base.
Si l’avenir ne laisse présager aucun répit quant à l’intensification des changements climatiques et ainsi, à l’afflux de migrant·e·s climatiques, il est impératif que les gouvernements soient saisis de la question à travers une analyse croisée des deux phénomènes. Il est urgent que ceux-ci agissent de façon responsable et solidaire pour faciliter les migrations volontaires et réduire les migrations forcées liées aux changements climatiques.
[1] International Organization for Migration (IOM), IOM Outlook on Migration, Environment and Climate Change, Genève, 2014, 144 p. Disponible en ligne.
[2] Internal Displacement Monitoring Center (IDMC), Global Report on Internal Displacement 2019, Genève, 159 p. Disponible en ligne. Ces estimations portent seulement sur les nouvelles migrations internes causées par les catastrophes naturelles et excluent donc les migrations internationales ainsi que celles causées par des dégradations de l’environnement, comme la sécheresse et la montée du niveau de la mer.
[3] Voir Bibliothèque du Parlement, Les changements climatiques : leurs répercussions et leur incidence sur les politiques, Ottawa, 2020, 52 p. Disponible en ligne.