Transports, écologie et changement social
Les veines ouvertes de l’Amérique latine
par Claude Rioux
L’observation des réseaux de transports peut servir de révélateur pour une analyse historique ou géostratégique d’un pays ou d’un continent.
Si une photo satellite du continent sud-américain avait pu être prise au XIXe siècle, on y aurait vu un réseau routier et ferroviaire évoquant des nervures partant de l’intérieur du continent pour irradier vers les océans et les principales voies navigables. Eduardo Galeano parlait des « veines ouvertes » d’un continent dont la seule « utilité » était de fournir métaux précieux et ressources naturelles aux conquérants. Les Espagnols durant la Colonie, et plus tard les Anglais et les États-uniens, n’avaient aucun intérêt à construire ou à financer la réalisation de voies pouvant faciliter les communications entre les régions d’un même pays et entre les pays eux-mêmes.
C’était l’époque de l’or, de l’argent, du « Rey azúcar » et autres monarques agricoles. Simon Bolivar voyait dans ce manque d’intégration nationale un immense obstacle à l’instauration de la « Grande Patrie ».
Jusqu’à tout récemment, il était plus facile de se rendre de Jujuy à Buenos-Aires que de Jujuy à Salta (deux provinces voisines de l’Argentine). C’est-à-dire que les régions d’un même pays n’existent qu’en tant que chaînons d’exportation (spoliation) et non en tant que région pouvant échanger avec ses voisins immédiats.
Aujourd’hui, à l’ère du « flux tendu », la mondialisation a d’autres projets pour l’Amérique latine. Le Plan Puebla-Panamá (un autre PPP) prévoit en effet la construction d’autoroutes et de canaux transocéaniques pour faciliter le « développement » et les exportations du Mexique et de l’Amérique centrale. Fait curieux, les principaux projets de communication du PPP se calquent sur les régions où l’on trouve soit une immense biodiversité (Chimalapas, Petén), soit des mouvements de résistance autochtones ou paysans (Chiapas). Comme quoi le « développement des transports » n’est jamais innocent.