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Algérie. Le mouvement populaire ne doit pas échouer
Les manifestations à Alger durent depuis des mois et ne semblent pas montrer de signes d’essoufflement. L’arrestation de Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des travailleurs marque cependant un tournant dans le bras de fer entre le pouvoir et le peuple. Elle signifie que le régime n’hésitera pas à s’engager dans la voie de la répression si son agenda de sortie de crise continue d’être rejeté par la rue.
Il convient d’abord de rappeler que le mouvement de protestation est né du refus d’un cinquième mandat pour le président Bouteflika, au pouvoir depuis 1999. Craignant d’être la risée du monde entier, à cause d’un président très affaibli et aphasique depuis son accident vasculaire cérébral subi en 2013 et qui s’accrochait néanmoins au pouvoir, les Algériens ne pouvaient pas accepter ce mandat de trop. Bouteflika voulait sans doute mourir président mais le peuple en avait assez. Ce dernier a donc décidé d’investir la rue, particulièrement à Alger où les manifestations sont interdites depuis la grande marche du 14 juin 2001, lors du printemps noir de Kabylie.
En 2011, le peuple algérien n’avait pas embarqué dans le processus révolutionnaire qui avait débuté en Tunisie pour ensuite toucher plusieurs pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Les Algérien·ne·s étaient alors échaudés par la décennie noire de 1990, durant laquelle le terrorisme islamiste avait fait environ 200 000 morts.
Huit ans plus tard, les Algérien·ne·s ne souhaitent pas non plus que leur pays connaisse le même sort que la plupart des pays du printemps arabe qui ont sombré dans le chaos ou qui sont retournés sous la dictature, comme en Égypte.
Cela explique peut-être le caractère pacifique des manifestations et le haut niveau de civisme des manifestant·e·s. Le printemps algérien a libéré la parole et les talents, notamment ceux d’une jeunesse qui a grandi avec les réseaux sociaux et qui tient à faire bonne figure et à impressionner le monde qui la regarde. Ce mouvement populaire est aussi une véritable école de formation des luttes populaires où l’on apprend à prendre la parole, à écouter et à être respectueux de la diversité des opinions et des parcours politiques. Cet esprit de solidarité et d’ouverture, on le doit sans doute aux jeunes de 20 ans qui n’ont pas connu la décennie noire et ses fractures.
Bouteflika part, mais son régime reste
De la revendication du départ de Bouteflika, réclamé au début du mouvement de protestation, on est passé à celle de la fin du régime en entier. « Yatnahaw ga3 » (Qu’ils dégagent tous !) entonné dans toutes les manifestations, est devenu le slogan phare du mouvement pour souligner la volonté du peuple de se débarrasser d’une caste qui a dilapidé et détourné les richesses du pays.
Il a fallu trois semaines de mobilisation et une grève générale, le 10 mars, pour faire reculer une première fois le pouvoir avec l’annonce par Bouteflika de son renoncement à briguer un 5e mandat, du report de l’élection présidentielle prévue pour le 18 avril et d’un changement de gouvernement. Ces concessions n’ont fait que renforcer le mouvement et lui faire prendre conscience de sa force.
La démission de Bouteflika, finalement intervenue le 2 avril, est cependant la véritable première victoire arrachée par le mouvement alors que la mobilisation avait gagné tout le pays et toutes les catégories de la population. Le régime a désigné Abdelkader Bensalah, ancien président de la chambre haute du parlement, chef d’État par intérim pour une période de 90 jours, le temps d’organiser une élection présidentielle fixée au 4 juillet.
Tout n’est pas réglé pour autant. Le peuple en mouvement réclame le départ des trois B (Bensalah, Belaiz et Bedoui) et l’annulation de l’élection présidentielle programmée. Si Tayeb Belaiz, président du Conseil constitutionnel a aussi démissionné, Abdelkader Bensalah et le premier ministre Nouredine Bedoui sont toujours en poste.
L’armée, la carotte et le bâton
Le nouvel homme fort du régime, c’est cependant le général Gaid Salah, chef d’état-major de l’armée et ancien fidèle de Bouteflika. Plusieurs observateurs lui prêtent l’ambition de devenir, à 77 ans, le « Sissi » algérien. Gaid Salah multiplie les sorties publiques depuis plusieurs semaines. Il prétend être du côté du peuple dans sa lutte contre le système corrompu, mais il n’hésite pas à utiliser la menace contre les « ennemis de l’intérieur et de l’extérieur qui veulent attenter à la stabilité du pays ». Il tente de donner des gages de son supposé soutien aux revendications du peuple, en mettant en prison quelques hommes d’affaires qui ont amassé des fortunes colossales durant le règne de Bouteflika. Il conforte sa position de nouveau maitre du régime en faisant aussi jeter en prison les généraux Mohamed Mediène et Bachir Tartag ainsi que Said Bouteflika, frère cadet du président déchu. Ils sont accusés par un tribunal militaire « d’atteinte à l’autorité de l’armée » et « complot contre l’autorité de l’État ». Enfin, Gaid Salah répète que la seule voie de sortie de crise possible, dans le cadre constitutionnel, demeure l’organisation de l’élection présidentielle.
Face à l’intransigeance de la direction de l’armée et aux velléités de durcissement de la répression, quel avenir peut-on envisager pour le mouvement populaire ?
Les défis du mouvement populaire
Le monde entier a été impressionné par l’ampleur des mobilisations dans les différentes villes du pays et surtout par le caractère pacifique des manifestations. Les médias et les réseaux sociaux relayent chaque jour les images de marches et de rassemblements joviaux de dizaines de milliers de jeunes et de moins jeunes, de femmes et d’hommes tous unis derrière le même objectif : en finir avec le régime et fonder une deuxième république. Des forums de discussions sont organisés sur le futur du pays, mais il est urgent que le mouvement dégage une représentation unifiée et propose une feuille de route de sortie de crise et de la gestion de la transition. Les quelques partis politiques qui n’ont pas trempé dans les magouilles du régime de Bouteflika sont tétanisés après des décennies de fermeture du champ politique. C’est aussi le cas des différents groupes et organisations de la société civile même si un collectif composé d’une trentaine d’associations a appelé, fin avril, à l’ouverture d’une transition politique et à un dialogue entre le pouvoir politique, d’un côté, et les acteurs de la société civile et la classe politique participant au mouvement populaire, de l’autre, afin de dégager une feuille de route pour une transition politique.
Il est urgent de construire une direction du mouvement pour peser sur la suite des choses. En Tunisie, moins de deux mois après le début de la révolution, un Conseil national pour la protection de la révolution (CNPR) avait été formé. Il demandait la convocation d’une assemblée constituante et la dissolution de toutes les institutions héritées de l’ère de Ben Ali et quelques jours plus tard, un gouvernement de transition avait été constitué avec pour mission de préparer l’élection de l’Assemblée constituante. La société civile tunisienne avait réussi à imposer une feuille de route de gestion de la transition parce que la pression sur le régime avait été appuyée par une grève générale de la puissante Union générale des travailleurs tunisiens.
En Algérie, le mouvement populaire a aussi besoin d’adopter de nouveaux moyens de pression comme la grève générale. Il est à ce titre impératif de se débarrasser de la direction de l’Union générale des travailleurs algériens inféodée au régime et de restituer la centrale syndicale aux travailleurs·euses pour qu’elle puisse jouer pleinement son rôle au sein du mouvement populaire. Les organisations de jeunes et des droits des personnes, les associations de femmes, les étudiant·e·s, les collectifs de manifestant·e·s, et les partis démocratiques ont besoin de forcer un front commun et de proposer une feuille de route pour une transition démocratique gérée par les représentants du peuple.