Dossier : Abitibi. Territoire des possibles
La face cachée de l’industrie minière
L’Abitibi est reconnue comme une région ressource au niveau minier, terminologie qui laisse entendre que le territoire est destiné à l’exploitation. Les retombées économiques sont amplement publicisées, mais qu’en est-il des retombées dans les coffres de l’État ainsi que des bouleversements sociaux et environnementaux ?
Après une longue période de disette due au krach boursier de 1987, l’industrie minière a repris vie il y a une quinzaine d’années. Aujourd’hui, 1 emploi sur 7 en Abitibi gravite autour des minières, soit plus de 11 000 emplois. L’or et l’argent sont les principaux métaux extraits dans la région. En 2017, l’or a rapporté 2,12 G$ sur une valeur totale de 2,24 G$ pour l’ensemble des livraisons.
En 2018, 8 mines étaient actives en région. L’année précédente, avec 36 % des parts des investissements miniers totaux au Québec, l’Abitibi était au deuxième rang des régions minières.
L’ensemble de l’économie tourne donc à plein régime autour des minières et aucun garde-fou n’est prévu dans l’éventualité d’une chute du marché minier. Les élu·e·s surfent sur la vague sans se préoccuper du lendemain. Les bons salaires et un optimisme aveugle encouragent la consommation de produits de luxe dans les transports et dans les activités récréatives. Le coût des maisons augmente. La hausse du prix des loyers et le manque de loyers abordables fragilisent les moins nantis. De plus, la forte demande d’employé·e·s spécialisé·e·s et non spécialisé·e·s provoque une pénurie de main-d’œuvre dans toute la région.
Tapis rouge pour les minières
Or, si l’on fait abstraction des impôts payés par le personnel, qu’est-ce que l’industrie renvoie à l’État ? Bien malin celui qui pourra le dire. L’opacité de l’impôt des minières est bien connue. Pour connaître les gains qu’un gouvernement peut en retirer, il faudrait pouvoir donner une valeur à la perte des ressources non renouvelables et calculer le total des incitatifs fiscaux, crédits d’impôts, allocations et financement monétaire bon marché offerts aux minières.
Dans les faits, l’État gère les ressources minières de la région comme celles d’une colonie. Il se comporte en gestionnaire d’entreprise de services plutôt qu’en gouvernement. Il est au service du privé et offre nos ressources non renouvelables sur le marché mondial. Une panoplie de mesures fiscales est disponible pour les minières. Premièrement, la Loi sur l’impôt minier offre un crédit unique au Canada de droits remboursables pour perte (jusqu’à 16 %) lors de l’aménagement et la mise en valeur avant production ainsi que pour l’exploration. Deuxièmement, la loi sur les impôts d’entreprises donne un congé fiscal de 15 ans pour les grands projets d’investissement. Ce congé fiscal est applicable à l’impôt sur le revenu des sociétés et à la cotisation au Fonds des services de santé. Troisièmement, un crédit d’impôt relatif aux ressources est offert. Ce crédit peut atteindre 38,75 % des frais d’exploration engagés au Québec par une société admissible.
Tout cela sans compter le fait que le gouvernement finance plusieurs établissements d’enseignement de haut niveau qui répondent aux besoins de formation de la main-d’œuvre dans le secteur minier. Il existe également l’Institut national des mines, un organisme qui a pour mission de soutenir le gouvernement en matière d’éducation dans le domaine minier.
Puisque l’État cherche à attirer des investissements privés, des fonds spéciaux ont été créés. Il y a le fonds Capital Mines Hydrocarbures (1 milliard de $) qui permet au gouvernement de prendre des participations dans des entreprises qui exploitent ou transforment des substances minérales et le fonds Ressources Québec (500 millions $).
Les infrastructures de transport routier, ferroviaire, portuaire et aéroportuaire sont offertes aux entreprises. Il ne faut pas oublier qu’Hydro-Québec leur offre également des tarifs préférentiels. À combien se chiffre toute cette aide ?
L’implantation d’un projet
En Abitibi, il est bien malvenu de critiquer l’implantation d’une minière. La moindre mobilisation contre un projet soulève l’ire des gens d’affaires, des directions d’entreprises et des élu·e·s locaux et provinciaux.
Si la venue d’une minière fait beaucoup d’heureux, elle produit cependant des dommages collatéraux que l’on ne veut surtout pas voir. La loi traite les différends entre une minière et un·e citoyen·ne comme elle traiterait une simple mésentente entre deux citoyen·ne·s. Lorsqu’il y a des conflits, les élu·e·s font la sourde oreille. Les retombées inespérées de taxes en région font taire bien des gens. Il y a donc une perte de représentation démocratique flagrante dans plusieurs municipalités.
Chaque minière doit maintenant se doter d’un comité de suivi pour créer un lien avec les citoyen·ne·s. La logistique de nomination et de fonctionnement de celui-ci appartient à la compagnie ; le comité est sans pouvoir. Force est de constater qu’à part créer une fenêtre de communication entre des « gens nommés » par la minière, le comité de suivi crée une distance qui éloigne les citoyen·ne·s des promoteurs.
Personne n’est dupe du parti pris de nos élu·e·s. On claironne que l’acceptabilité sociale doit être au rendez-vous, mais aucune balise ne permet de l’évaluer. L’argumentaire des politiques foisonne d’imagination pour démontrer l’appui qu’a le projet. On met à profit l’assentiment hypothétique de la « majorité silencieuse ». Les opposant·e·s seront accusé·e·s de ne pas permettre à la municipalité d’avoir un développement structurant. On les accusera de faire perdre des jobs payantes.
Les minières ne restent pas inactives pour autant et font de la promotion. Elles sont présentes dans tous les médias et financent beaucoup de publicités. De plus, elles versent des dons corporatifs à différents organismes pour créer une dépendance. Personne ne veut mordre la main qui le nourrit.
Un lobby puissant veille au grain. Devant une volonté gouvernementale qui tente de changer les règles de fonctionnement à l’avantage des citoyen·ne·s, l’industrie minière se dresse et crie au loup. La rhétorique minière est bien peaufinée. Lorsque le prix des métaux est au plus haut, l’industrie met en garde le gouvernement de ne pas créer d’instabilité en changeant les règles. Lorsque le marché baisse, elle exige des changements réglementaires et des baisses d’impôts pour être compétitive avec le reste du monde. Nous sommes à leur service.
Après la mine
Depuis quelques années, la restauration des sites est devenue un enjeu. L’expérience de contamination de notre région par des sites miniers abandonnés, avec un passif de plus d’un milliard de dollars, a sensibilisé les citoyen·ne·s à l’importance de mieux les restaurer. Aujourd’hui, les minières doivent verser à l’avance les sommes nécessaires pour la remise en état des sites. Mais ces sommes sont-elles suffisantes et qu’en est-il de la qualité de la restauration ? Les projets sont toujours plus gros et les montants exigés sont basés sur les scénarios présentés qui sont les moins dispendieux. Quels seront les impacts cumulatifs de tous ces projets pour la région ?
Le régime minier au Québec est issu du régime colonial. Notre gouvernement se contente trop souvent de l’impôt payé par le labeur des employé·e·s. L’État est devenu un promoteur qui cherche à créer l’investissement. On oublie trop souvent que les ressources minières appartiennent aux Québécois·es. Ce ne sont pas les minières qui nous permettent de bien vivre, mais bien nos ressources naturelles. Elles sont non renouvelables et leur exploitation cause des cicatrices indélébiles sur le territoire. Rappelons-nous que nous ne sommes pas redevables à l’industrie.