Les fous crient au secours ! Témoignage d’un ex-patient de Saint-Jean-de-Dieu

No 80 - été 2019

Jean-Charles Pagé

Les fous crient au secours ! Témoignage d’un ex-patient de Saint-Jean-de-Dieu

Élisabeth Béfort-Doucet

Jean-Charles Pagé, Les fous crient au secours ! Témoignage d’un ex-patient de Saint-Jean-de-Dieu, Montréal, Écosociété, 2018, 240 pages.

L’histoire de la psychiatrie au Québec avant la Révolution tranquille est encore méconnue et peu intégrée aux travaux sur le système de santé québécois. Les conditions de traitement des personnes présentant des déficiences intellectuelles avant le mouvement de décléricalisation des asiles étaient reléguées à l’oubli des institutions catholiques. Avec la réédition du témoignage de Jean-Charles Pagé, publié originalement en 1961 aux Éditions du Jour, qui inclue toujours la postface originale du Dr Camille Laurin et une nouvelle postface du groupe de défense de droits en santé mentale Action Autonomie, Jérémie Dhavernas et Anaïs Dupin proposent une réflexion sur l’évolution de la psychiatrie au Québec et l’état où elle en est aujourd’hui.

Le témoignage de Pagé est d’une part une autobiographie sur son séjour à l’hôpital psychiatrique de Saint-Jean-de-Dieu pour alcoolisme, et d’autre part une critique de l’internement des patients présentant des troubles de santé mentale. Pagé raconte les conditions de vie réservées aux 6 300 patients de Saint-Jean-de-Dieu, que le personnel considérait moins comme des personnes malades à soigner que des déviants à corriger. Les infirmières, chargées du suivi quotidien, exerçaient une forme de contrôle des mouvements des patients en régulant les horaires au quart de tour, en étant présentes lors de tous les entretiens avec les médecins et les psychiatres et en collaborant avec les gardiens pour les traitements forcés tels les électrochocs et les piqûres. Pagé souligne que les patients ont été confrontés à une déshumanisation par la réduction de leur humanité à de simples numéros portant des habits similaires et par l’autocratie réprimant toute tentative d’ébranler l’ordre (répression qui se manifestait par l’envoi dans les « salles en arrières », formes de cachots où gisaient les plus aliénés qui avaient osé se rebeller).

La postface écrite par le Dr Camille Laurin a amorcé le travail qui a mené au rapport Bédard, fer de lance de la désinstitutionnalisation du système de santé. Laurin critiquait les méthodes utilisées dans les hôpitaux psychiatriques tels Saint-Jean-de-Dieu visant à retirer la personne malade de la société, contribuant ainsi à l’individualisation des problèmes de santé mentale. Il appelait, en concluant, au financement adéquat de la recherche en psychiatrie afin de s’assurer que les patients se prévalent des soins les plus appropriés.

En guise de conclusion, le collectif Action Autonomie fait appel à des témoignages poignants pour souligner que la situation actuelle de la psychiatrie au Québec a bien peu évolué. Jean-François Plouffe s’indigne, entre autres, du fait que les conditions dans lesquelles les patients sont traités (par exemple, les mesures de contrôle comprenant la contention et l’isolement ou les électrochocs encore utilisés aujourd’hui) peuvent favoriser l’apparition de comportements perçus comme inadéquats. Ceux-ci sont alors réprimés ardemment par les administrations et contribuent à un cercle vicieux. Une réflexion sur l’importance de revoir l’approche face à la psychologie en incluant les ressources alternatives en santé mentale clôt l’ouvrage.

Thèmes de recherche Psychologie et psychiatrie, Livres, Histoire
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