De 2005 à 2012
La route que nous suivons
Dossier : Le printemps érable - Ses racines et sa sève
À l’automne 2004, à la suite d’une tentative de grève infructueuse, l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) était moribonde alors que la frange lobbyiste du mouvement étudiant, incarnée par la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) et la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), assoyait sa domination. Lorsque le gouvernement libéral annonça une réforme de l’aide financière aux études (AFE) au printemps 2004, peu de gens croyaient une nouvelle grève possible. Pourtant, au printemps 2005, à la suite d’un travail acharné, ce qui devint alors le débrayage étudiant le plus massif de l’histoire amorça un renouveau du mouvement qui déboucha éventuellement sur le « printemps érable » de 2012.
La grève de 2005 et la CASSÉÉ
La réforme de l’AFE annoncée en 2004 incluait un transfert de bourse en prêt à hauteur de 103 millions $. La Coalition de l’ASSÉ élargie (CASSÉÉ) refusa de limiter sa lutte à ce seul élément. Elle développa une plateforme demandant le retrait de la réforme et le retour rétroactif des sommes transférées, exigeant du gouvernement qu’il renonce à la décentralisation et à l’arrimage au marché du réseau collégial, et articulant le tout à une perspective de gratuité scolaire et d’élimination de l’endettement étudiant. Refusant de faire de la « gestion de coupure », la CASSÉÉ jeta les bases d’un débat en profondeur sur le sens à donner à l’éducation au sein du corps étudiant, mais aussi dans l’espace public québécois. Fustigeant sa marchandisation progressive, elle s’évertua à présenter l’éducation comme un bien commun, dont le financement doit être pris en charge collectivement, à travers un système d’imposition réellement progressiste. Ce débat fut repris et étayé au cours des années qui suivirent et, de façon brillante, lors de la grève de 2012.
La grève de 2005, lancée par la CASSÉÉ et rejointe par la FECQ et la FEUQ, ratissa très large et impliqua des associations n’ayant jamais fait grève (Faculté de médecine de l’Université Laval, HEC, Polytechnique, etc.). Si sa durée (qui établissait un record, à l’époque) fait pâle figure par rapport à celle de 2012, la massivité de la mobilisation de 2005, avec plus de 185 000 étudiantEs en grève générale illimitée, demeure comparable à celle du printemps érable. La multiplication du nombre de manifestations, d’actions de perturbation économique et la créativité des nombreuses interventions artistiques laissaient aussi présager ce qui se répéterait de façon décuplée sept ans plus tard.
Créée pour éviter que ne se reproduise le scénario de la grève de 1996, récupérée par la FECQ-FEUQ, la CASSÉÉ réussit à rassembler des associations représentant plus de 70 000 grévistes. Ce fut un pôle fort, au-delà des attentes, qui pressurisa les fédérations étudiantes autant que le gouvernement. Cette ampleur ne suffit pourtant pas à éviter une nouvelle récupération, alors que la CASSÉÉ fut exclue des négociations sous prétexte qu’elle refusait de condamner la violence. La manœuvre visait bien entendu à écarter la frange la plus démocratique et combative du mouvement, mais elle fonctionna tant et si bien qu’elle fut resservie en 2012. Cette fois, cependant, la CLASSE ne mordit pas et dépassa le faux débat sur la violence de façon brillante, pour enfin accéder à la table de négociation.
La grève de 2005 se conclut sur une entente que la FECQ et la FEUQ négocièrent seules et qui fut rejetée en assemblées générales par une majorité de grévistes. Dans les mois et les années qui suivirent, certaines des associations membres de la FEUQ claquèrent la porte. De ce rejet et de ces désaffiliations émanait déjà le fumet contestataire du printemps érable.
Une défaite ?
Plusieurs ont présenté la grève de 2005 comme une défaite. L’entente acceptée par les directions des fédérations étudiantes et rejetée par la CASSÉÉ fut très certainement « à rabais » : le réinvestissement du gouvernement en bourses n’était pas rétroactif, il était partiel pour l’année 2005-2006 et était entièrement financé à même des transferts fédéraux qui aurait dû servir à bonifier le système. De plus, l’entente ne faisait aucune mention du réseau collégial.
CertainEs, pourtant, insistèrent sur les gains réalisés à l’issue de cette grande mobilisation. Le principal fut certainement d’avoir (re)démontré de façon éclatante que c’est par la mobilisation collective, organisée de façon démocratique, qu’il est possible de défendre nos droits sociaux et d’en acquérir de nouveaux. Des milliers d’individus apprirent à l’école de la lutte, développèrent de nouvelles capacités militantes et adoptèrent de nouvelles perspectives politiques. Dans la foulée du cycle de luttes étudiantes amorcé en 2005, on a pu assister à un renforcement du pôle démocratique et combatif du mouvement étudiant, au point où la CLASSE est devenue l’acteur dominant de la grève de 2012. Ce cycle a aussi imposé certaines transformations au sein de la FECQ et de la FEUQ. Elles firent face à des désaffiliations et à des critiques internes, et en vinrent à refuser de jouer le jeu de la division proposé par le gouvernement et à montrer davantage de combativité et de respect pour le contrôle exercé par les assemblées générales durant cette lutte printanière.
Toute cette évolution est riche d’enseignement pour quiconque est animé d’un désir de transformation sociale. Il n’y a pas d’agent révolutionnaire attendant tranquillement d’être trouvé. La classe des travailleuses et des travailleurs (dont font partie les étudiantEs) ne s’est pas simplement endormie. Il s’agit d’une communauté d’intérêt qu’il nous faut activement reconstruire à travers un processus de luttes ponctué d’avancées et de reculs, dont il faut collectivement tirer des leçons. Rien n’est joué à l’avance, mais sur « la route que nous suivons », c’est au fil des luttes et des efforts visant à resserrer les mailles organisationnelles de notre classe que, possiblement, comme le dit Miron, « nous reviendrons, nous aurons à dos le passé, et à force d’avoir pris en haine toutes les servitudes, nous serons devenus des bêtes féroces de l’espoir ».