Le droit de grève discrètement remis en cause

No 046 - oct. / nov. 2012

Organisation internationale du travail

Le droit de grève discrètement remis en cause

Léa Fontaine

Les employeurs siégeant à l’Organisation internationale du travail (OIT) ont bloqué, en juin dernier, le processus de contrôle de l’application des normes internationales en raison d’un « désaccord » sur la conception du droit de grève. Le droit de grève serait-il remis en cause dans la plus grande discrétion ?

Relevant des Nations unies, cette institution est chargée d’élaborer les normes internationales du travail, de veiller à leur application et de promouvoir le travail décent pour toutes et tous. L’OIT a mis sur pied deux mécanismes de contrôle, reposant sur l’un ou l’autre de ses organes. Le premier mécanisme, ordinaire, prévoit l’examen des rapports élaborés par ses États membres à propos de l’application des normes internationales du travail ainsi que des observations formulées par les organisations de travailleurs et d’employeurs.

Ce contrôle est réalisé via deux organes : d’une part, la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations (CEACR), et d’autre part, la Commission tripartite de l’application des conventions et recommandations de la Conférence internationale du travail (CIT). Le second mécanisme de contrôle, extraordinaire, se présente sous la forme de trois procédures distinctes : la réclamation et la plainte au sujet de l’application de conventions ratifiées ainsi que la procédure spéciale de plainte en matière de liberté syndicale, intentée devant le Comité de la liberté syndicale.

Blocage à la CIT

Organe tripartite composé de représentants des gouvernements, des travailleurs et des employeurs des États membres de l’OIT, la CIT se réunit annuellement pour déterminer les grandes orientations de l’institution, mais aussi pour contrôler le respect des normes notamment en dressant la liste des pays accusés de ne pas avoir respecté les normes internationales du travail. Lors de la dernière CIT, l’Organisation internationale des employeurs (OIE) a purement et simplement bloqué le processus de contrôle. Cette attitude a au moins deux conséquences immédiates et majeures. En premier lieu, l’OIE sape ainsi l’un des mécanismes de contrôle de l’OIT. Concrètement, aucune discussion n’a pu avoir lieu au sujet des violations des droits syndicaux les plus graves contenues dans le rapport annuel du CEACR. À ce titre, les violentes exactions concernant plusieurs ressortissants notamment de la Colombie et du Guatemala ainsi que la suppression de certains droits en Grèce et en Espagne demeurent passées sous silence et pourront perdurer. En deuxième lieu, le blocage a été réalisé par l’instrumentalisation du droit de grève : L’OIE remet en cause la conception de ce droit, qui selon elle n’en est pas vraiment un.

Droit de grève menacé ?

Selon l’OIT, le droit de grève constitue le moyen essentiel permettant aux travailleuses et travailleurs et aux organisations syndicales de défendre leurs intérêts. Effectivement, ce droit découle directement de l’un des principes fondamentaux de l’OIT, soit la reconnaissance effective de la liberté d’association et du droit de négociation collective. La négociation collective des conditions de travail et le droit de grève constituent les deux moyens d’exercice de la liberté d’association. À défaut, cette liberté est vidée de son sens.

Les employeurs ne l’entendent pas de cette oreille. L’OIE affirme qu’il y a un problème d’interprétation. Dans la mesure où l’expression « droit de grève » ne figure pas dans les conventions, la capacité des experts de la CEACR à l’interpréter peut légitimement être contestée. Si l’OIE prétend qu’il n’est pas question de remettre en cause le droit de grève, mais simplement de contester l’interprétation qu’en font les experts, il est permis d’en douter. Appelons un chat, un chat ! Au sein de l’OIT, la contestation patronale de ce droit ne date pas d’aujourd’hui, mais a rarement été aussi « clairement » affirmée.

Le plus marquant de cet « événement » est le silence qui l’entoure. Mis à part quelques courtes mentions dans la presse française (Le Monde) et quelques dénonciations syndicales (ex. la Confédération générale du travail [CGT]), personne n’a relayé l’information. À l’heure où la Cour suprême du Canada revient sur la liberté d’association [1], il convient de garder à l’œil le comportement patronal aux niveaux tant national qu’international.


[1Cf. « Le détestable arrêt Fraser », À Bâbord !, no 41, octobre-novembre 2011.

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