Chronique économie
Crise alimentaire mondiale : on récolte ce qu’on a semé
par Gaétan Breton
Il n’est pas question ici de faire le tour de la crise qui semble nous surprendre comme un coup de tonnerre dans un ciel sans nuages. Un tel exercice prendra plusieurs articles. Nous voulons simplement proposer quelques éléments qui s’additionneront aux autres pour aider notre compréhension.
L’année dernière, on annonçait à la radio que les agriculteurs du sud de l’Ontario avaient doublé les surfaces cultivables destinées au maïs. On disait clairement que cette réorientation était liée à l’utilisation massive du maïs dans la production d’éthanol. Voilà donc des champs qui ne serviront plus à nourrir les gens. Or, en ce moment, on discute de lois pour fixer un taux minimum d’éthanol dans l’essence. Ces discussions ont lieu dans plusieurs pays et le Canada est loin d’être le chef de file dans ce domaine. En conséquence, on peut croire que des quantités importantes de terres agricoles vont être détournées de leur vocation alimentaire pour fabriquer des carburants, car le monde de l’énergie paie beaucoup mieux les producteurs que celui de l’agriculture. Compte tenu que les besoins alimentaires augmentent sur la planète, il est essentiel de ne pas soustraire des terres à la production agricole. La tendance actuelle est inverse.
La spéculation
La spéculation sur les denrées de base n’est pas nouvelle. Cependant, en devenant source d’énergie plutôt que d’alimentation, les produits agricoles acquièrent une nouvelle valeur. Cette spéculation sur la hausse des prix futurs devient autoréalisatrice et se confirme par une augmentation importante du prix des denrées de base qui deviennent inaccessibles aux habitants de plusieurs pays. Ces pays se sont souvent éloignés de la souveraineté alimentaire, poussés notamment par l’idée que les productions doivent être spécialisées (avantage compétitif) et par les plans d’ajustement structurels du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale.
La spécialisation des productions agricoles implique que des moyens de transport importants soient déployés pour assurer la répartition de ces produits. Augmenter les exportations des pays en vue de faire rentrer des devises étrangères destinées à payer la dette est l’un des principaux objectifs des programmes des organismes de Bretton Wood. Mais ces transports incessants, comme le soulignait Serge Latouche dans nos pages [1], en plus d’être une source importante de pollution, impliquent des quantités phénoménales d’énergie. Or, si les produits agricoles deviennent des sources de cette énergie, il devient vite évident que ce qu’ont créé ces institutions et les « spécialistes » qui les incarnent, ce sont les conditions parfaites d’une crise mondiale des denrées alimentaires.
Il y a déjà plusieurs années que certains groupes écologiques ont commencé à demander le retour à une certaine souveraineté alimentaire. Les arguments sont très nombreux à l’appui de cette position, on les retrouvera d’ailleurs en bonne partie dans le dossier du numéro 23 d’À bâbord ! sur la souveraineté alimentaire.
Les affaires sont les affaires
Mais il y a déjà longtemps que l’agriculture s’est concentrée, pour l’essentiel, entre les mains de quelques gros propriétaires d’agrobusiness et que les décisions sont prises ailleurs. Bref, en se livrant à une monoculture intensive, on accélère la défertilisation des sols. La culture du maïs est d’ailleurs l’une des pires dans ce domaine. Gérée par des organisations multinationales ou par les banquiers qui détiennent les dettes importantes des petits fermiers, il est clair que l’agriculture va produire ce qui est le plus rentable à court terme, c’est-à-dire des intrants pour le secteur énergétique.
La concentration des profits réalisés sur les produits alimentaires entre les mains des intermédiaires oblige souvent les petits producteurs à vendre leurs produits à perte pendant que le consommateur ne cesse de voir les prix augmenter. Ces intermédiaires qui partent avec le profit finissent par acheter les fermes qui deviennent des parties intégrantes de conglomérats intégrés verticalement. À ce moment-là, l’agriculture est entrée dans le domaine du business où les considérations humaines et environnementales ne pèsent pas lourd.
Ces mêmes pays qui vont imposer aux Africains de changer de culture et, souvent, de massacrer leur agriculture vivrière au profit d’exportations aléatoires au nom du libre-marché subventionnent allègrement leurs producteurs agricoles, faussant ainsi toutes les règles et rendant souvent les produits du tiers-monde beaucoup trop chers. Souvenons-nous de ce fermier coréen qui s’est immolé pendant une réunion de l’OMC à Cancun après avoir tout perdu parce que les Australiens subventionnent les producteurs de bétail. Le même phénomène se produit avec le coton et le riz, contrevenant ainsi aux ententes promulguées et signées par ces mêmes pays. Les États-Unis, grands pourfendeurs de toutes les entraves au marché (souvenons-nous du bois d’œuvre), subventionnent abondamment leurs produits agricoles parfois au-delà de 60 % des coûts de production.
Un réel problème
Pour terminer ce portrait bien parcellaire, notons que certains spécialistes pensent que les changements climatiques vont réduire considérablement l’espace des terres cultivables sur la planète (certains vont jusqu’à 50 %. Il va donc falloir chercher à augmenter cet espace et non à le réduire. Plus que jamais, il est donc temps de « modérer nos transports ». La crise est bien réelle, mais il est aussi clair que les pouvoirs économiques ont décidé d’en profiter pour faire de l’argent et semer la terreur dans la population. Les solutions existent. On pourra les trouver dans plusieurs documents publiés par des groupes ou des spécialistes de toutes sortes. Cependant, aucune ne semble passer par la poursuite du système économique que nous connaissons.
[1] Serge Latouche, « La déraison de la croissance des transports », À bâbord !, no 11, octobre/novembre 2005.