Présentation du dossier
L’avortement, un droit menacé
Par Nesrine Bessaïh et Monika Dunn
Souligner les 20 ans de la décriminalisation de l’avortement est certainement l’occasion de se féliciter d’une grande victoire. D’autant plus que la lutte pour le droit à l’avortement est un exemple remarquable d’une lutte collective où le mouvement des femmes a su s’adjoindre tous les milieux progressistes pour mener une bataille unifiée vers la reconnaissance pour les femmes de disposer de leur corps et d’en être les seules juges.
Aujourd’hui, bien que le thème de l’avortement reste encore présent à l’esprit des féministes, un sentiment d’acquis mêlé à la multitude imposante des luttes sociales qui réclament l’attention de chacune, pousse parfois à reléguer ce thème à l’arrière plan. Dans ce dossier, nous avons tenté d’illustrer les menaces réelles et constantes au droit à l’avortement car, sans devenir alarmistes, nous tenons à ce que les milieux progressistes du Québec demeurent alertes.
Tout d’abord, parce qu’à travers le monde, trop de régions imposent encore des interdictions quant à l’avortement et trop de femmes mettent leur vie en danger en se risquant à des avortements clandestins.
Rester sur le pied de guerre est aussi nécessaire quand on observe les démarches systématiques menées par l’Église catholique et le Vatican à travers le monde et, plus près de nous, la guerre menée contre les droits reproductifs par Bush et les évangélistes aux États-Unis. Le développement, au Canada, de réseaux catholiques et évangélistes qui importent ici les tactiques états-uniennes confirme que la menace n’est pas une ombre vague et lointaine, mais plutôt un inquiétant échafaudage aux ramifications des plus locales qui soient.
Enfin, l’accessibilité à des services d’avortement est parfois si déplorable qu’elle met ce droit même en péril. Et si la situation au Canada laisse paraître la situation au Québec comme enviable, il ne faudrait pas pour autant en conclure que tout est parfait.
Récemment, certains médias ont laissé entendre que la dénatalité serait due à un taux trop élevé d’avortements. Rappelons que ce n’est pas par manque ou absence d’accessibilité qu’on réduit le nombre d’avortements. C’est plutôt en améliorant l’accès à l’éducation sexuelle et à la contraception, qu’on réduit le risque de grossesse non désirée. Et c’est en renforçant les programmes sociaux et les mesures de conciliation famille-travail qu’on donne à toutes et tous les moyens d’élever des enfants dans des conditions décentes et qu’on s’assure de soutenir ceux et celles qui veulent et ont des enfants.
On assiste également à un renforcement des jugements moraux. Les femmes qui choisissent d’avorter sont pointées du doigt et jugées irresponsables. Ce faisant, on omet qu’aujourd’hui encore la contraception demeure trop souvent la responsabilité des femmes et que les méthodes contraceptives ne sont ni totalement accessibles ni à 100 % efficaces. Notre société exige des femmes qu’elles soient toujours raisonnables, réfléchies, prévoyantes, mais elle fait abstraction du fait que les femmes sont des êtres humains avec toutes les ambivalences, incertitudes et emportements que cela implique. Réaffirmons alors que les raisons qui amènent une femme à avorter ne regardent qu’elle.