Dossier : L’avortement, un droit

Regards croisés : génération 45 ans et +

Une lutte qui reste d’actualité

par Louise Desmarais

Louise Desmarais

En 1989, la veille de la manif de soutien à Chantal Daigle, je me rappelle, j’avais passé des tracts puis je suis revenue au local de la Coalition pour le libre choix. J’ai dit aux filles : « Ça n’a pas de bon sens, il y a quelque chose dans l’air, il va se passer de quoi demain. » C’était les vacances de la construction, la période la plus démobilisée au Québec, partout où j’allais, sur toutes les terrasses, les gens voulaient des tracts : « C’est pour l’affaire Chantal Daigle ? J’en veux ! J’en veux ! » Et effectivement, de toutes les catégories, de tous les milieux, il y avait des gars, des gens avec des poussettes, des grands-mères qui étaient dans la rue pour dire : « Ça va faire, il y a des limites ! »

C’est normal qu’aujourd’hui cette lutte soit un peu mise de côté, elle est globalement gagnée et il y a tellement d’autres luttes à mener. Mais il faut que le mouvement des femmes demeure alerte et une des stratégies, c’est de resituer cette lutte là avec toutes les autres menaces de la droite qui veut ramener les femmes dans un rôle traditionnel. C’est toute la question de la sexualité qui est en cause. La question de l’avortement est un maillon là-dedans. On ne peut pas le regarder tout seul. Il faut reconnecter la lutte pour le droit à l’avortement avec d’autres enjeux d’importance pour les femmes. La vie des jeunes femmes, leur liberté d’être, le lien avec l’hypersexualisation, le type de sexualité auquel on s’attend chez les jeunes femmes marquées par la consommation, mais en même temps une perte de contrôle sur leur vie.

Derrière l’avortement, il y a la liberté des femmes au plan sexuel que la droite conservatrice ne digère toujours pas. Et on revient, à mon avis, aux deux piliers de la société capitaliste qui sont l’hétérosexualité et la maternité. Tout le monde est élevé dans ces deux contraintes-là parce que ça prend des couples hétérosexuels pour faire des enfants et donc des travailleurs et des consommateurs. Et avec l’avortement, on s’attaque aux fondements de la civilisation, et j’invente rien c’est sur le site du mouvement pro-vie. La question du mariage des conjoints de même sexe a été passée aussi mais comme pour l’avortement, les pro-vie l’ont en travers de la gorge ! On l’a passé de force.

Nos plus solides alliées sur la question de l’avortement, ce sont les 30 000 femmes à chaque année qui se font avorter. Silencieusement, mais ces femmes-là votent et ces femmes-là voient dans leur quotidien que la plupart des hommes ne se responsabilisent pas par rapport à la contraception.

Le but n’est pas de banaliser l’avortement mais plutôt de le dédramatiser. Moi je ne suis pas sûre que ce soit toujours un drame. Les femmes n’ont pas toutes le même rapport à la maternité ou à leur identité. Tomber enceinte fait partie du risque que tu vis pendant 30-35 ans de ta vie. Si tu arrêtes de le regarder d’un angle moral et si tu regardes toutes les possibilités que tu as d’être enceinte dans les 400 cycles menstruels d’une vie alors que les femmes ont moins de deux enfants, tu te rends compte que les femmes sont tout à fait responsables ! On est très raisonnable ! Se faire avorter une ou deux fois dans ta vie, ce n’est vraiment pas dramatique !

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