L’autre guerre de Bush
Le contrôle des droits reproductifs
par Monika Dunn
À quelques mois de la fin de la présidence de Bush fils aux États-Unis, l’heure est au bilan. Avec ce président, c’est la droite religieuse conservatrice qui a tenu les rênes du pouvoir au cours des huit dernières années et le résultat est plutôt catastrophique dans certains domaines, comme en santé reproductive et sexuelle. D’ailleurs, l’avortement n’a pas été épargné, bien au contraire. Le mouvement anti-choix américain, dont les bases sont établies au sein des mouvements religieux fondamentalistes, a toujours été bien organisé et surtout, influent.
Bien que l’avortement soit décriminalisé depuis 1973 grâce au jugement de la Cour suprême Roe vs Wade, 31 états restreignent à l’heure actuelle d’une façon ou d’une autre le droit à l’avortement. En outre, pas moins de 355 projets de loi anti-choix ont été déposés entre 1996 et 2003 [1].
En fait, des féministes américaines considèrent que Bush a mené une autre guerre, celle contre les droits reproductifs et sexuels (Bush’s Other War [2]). Le gouvernement américain a mené des attaques sur les fronts politiques et législatifs, usant de stratégies diversifiées.
Les actions politiques : partisanerie et financement idéologique
Au plan politique, le président Bush a nommé pas moins de 15 personnes dont la réputation anti-choix n’est plus à faire dans des fonctions juridiques importantes et pour des mandats à vie. Les plus notables sont celles de deux juges à la Cour suprême : John G. Roberts, catholique fondamentaliste, comme juge en chef et Samuel Alito, connu comme étant l’architecte d’une stratégie à long terme visant à faire tomber le jugement de 1973 Roe vs Wade.
Le président Bush a également usé de son influence pour mettre de l’avant le financement idéologique. Le tout premier geste politique de Bush au moment de son arrivée à la présidence fut de rétablir la Règle du bâillon mondial (ou la Politique de Mexico). Cette mesure interdit à toute organisation non gouvernementale internationale ou œuvrant dans des pays étrangers qui reçoit du financement des États-Unis de toucher d’une quelconque façon à la question de l’avortement, que ce soit d’offrir des services, de diffuser de l’information, de donner des références ou de promouvoir la légalisation de l’avortement. Cette politique prive donc toutes les organisations qui travaillent auprès des femmes à travers le monde, principalement dans les pays en voie de développement, d’une de leurs plus importantes sources de financement. De plus, en 2007, le président Bush a refusé, pour une sixième année consécutive, de débloquer les sommes destinées au Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), qui est l’un des plus importants programmes d’assistance en matière de santé reproductive et sexuelle au monde.
À l’échelle nationale, le gouvernement Bush a toujours refusé d’augmenter le budget alloué au Programme fédéral de planning familial, qui permet aux femmes à faible revenu d’avoir accès à des services de santé reproductive et sexuelle. Il choisit plutôt d’accroître l’appui gouvernemental aux campagnes « d’éducation sexuelle », menées par des groupes religieux, qui font la promotion de l’abstinence avant le mariage, sous prétexte de prévenir les infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS).
Les actions au plan législatif
Au plan législatif, les attaques au droit à l’avortement ont été menées non seulement par la présidence, mais également par les différents parlementaires anti-choix aux États-Unis. En voici quelques exemples. En novembre 2003, le président Bush signe la Partial-Birth Abortion Ban Law qui interdit une technique d’avortement dite à « naissance partielle » : une technique rare utilisée lors d’avortements de deuxième trimestre et seulement dans des conditions médicales particulières. Il s’agit de la première loi nationale qui, depuis 1973, restreint le droit constitutionnel des femmes à l’avortement. La Partial-Birth Abortion Ban Law ne prévoit aucune exception si la vie ou la santé de la femme est en danger. Afin de rallier l’opinion publique en sa faveur et limiter l’accès à l’avortement, le gouvernement américain n’a pas hésité à faire appel à la forte charge émotive que sous-tend cette technique.
À la suite de l’approbation du président Bush, une véritable saga juridique est enclenchée : trois états (New York, la Californie et le Nebraska) en ont contesté la constitutionnalité et ont eu gain de cause parce que la loi ne comporte aucune mesure de protection de la santé des femmes. Le département de la justice américaine en a appelé et les cours d’Appel ont toutes confirmé l’anticonstitutionnalité de cette loi. Malgré ces six décisions, la Cour suprême des États-Unis a accepté de revoir l’une des trois poursuites et a validé cette loi nationale en avril 2007.
En mars 2006, le Dakota du Sud a adopté une loi interdisant toute forme d’avortement. Cette loi, non constitutionnelle puisqu’elle enfreint le jugement de la Cour suprême de 1973, est la plus sévère des États-Unis puisqu’elle interdit l’avortement même en cas de viol ou d’inceste. La stratégie des partisans de cette loi est évidente : rouvrir le débat sur l’avortement et pousser la Cour suprême des États-Unis à renverser le jugement Roe vs Wade. Cependant, grâce à la mobilisation des femmes et des hommes opposés à cette loi, celle-ci a été invalidée par voie de référendum lors des élections législatives de novembre 2006.
Le gouvernement Bush a également multiplié les tentatives pour insérer dans la loi des clauses de conscience permettant aux pharmaciens de refuser de vendre des contraceptifs. Quatre états, l’Arkansas, la Georgie, le Mississipi et le Dakota du Sud, ont adopté de telles lois.
Reconnaissance de droits au fœtus.
Une des stratégies les plus importantes du mouvement anti-choix et de faire reconnaître que la vie commence au moment de la conception et de donner un statut d’être humain au fœtus. Dans cette veine, l’administration Bush a émis une réglementation visant à élargir la couverture d’un régime d’assurance santé pour enfant (State Child Health Insurance Plan) aux enfants « non nés ». Pour la première fois, les États-Unis reconnaissent qu’un ovule fécondé, un embryon ou un fœtus est une personne pouvant être assurée et éligible à des programmes gouvernementaux. Par contre, peu de temps après que cette réglementation fut émise, le gouvernement Bush a retiré son appui à un projet qui visait à inclure les femmes enceintes à ce régime d’assurance.
En avril 2004, le président Bush passe une loi qui, pour la première fois, confère des droits légaux au fœtus et lui procure un statut légal équivalent à celui de la femme qui le porte. Cette loi, Unborn Victims of Violence Act (Loi sur la violence faite aux victimes non nées) définit un acte de violence à l’égard d’une femme enceinte comme deux crimes distincts : un contre la femme elle-même et l’autre contre « l’enfant non né ». Cette loi, dont le projet de loi C-484 se fait l’écho au Canada, a surtout comme effet de reconnaître le fœtus comme étant une personne. Elle pourrait ouvrir la porte à une reconnaissance légale d’un statut pour le fœtus, et donc aller à l’encontre des droits des femmes et ainsi renverser le jugement Roe vs Wade. Qui plus est, elle a permis la mise en place de lois similaires dans divers états américains. Déjà, on voit les impacts d’une telle loi contre les femmes elles-mêmes. Par exemple, en Caroline du Sud, au moins 89 femmes ont été arrêtées pour avoir adopté un comportement nuisible pour le fœtus qu’elles portaient. Dans la majorité des cas, il s’agissait de femmes aux prises avec un problème de toxicomanie ou d’alcoolisme ou encore de femmes qui vivaient une situation de violence conjugale.
La suite des choses
Les primaires qui se déroulent actuellement aux États-Unis ont jusqu’à présent accordé peu de place à la question de l’avortement dans les débats. Reste à voir ce que la course à la présidence nous réserve. Pour sa part, le candidat républicain, John McCain, est réputé pour son opposition au droit à l’avortement. S’il prend le pouvoir, poursuivra-t-il le travail de son prédécesseur ?
Les stratégies et les victoires de la droite religieuse aux États-Unis deviennent d’autant plus instructives quand on sait qu’en ce moment même la droite religieuse canadienne tente de les implanter au Canada.
Centre for Reproductive Rights
[1] Alexander Sanger, « Beyond Choice. Reproductive freedom in the 21st century », Public Affairs, 2004.