Henri Lamoureux
L’action communautaire. Des pratiques en quête de sens
lu par Marc-André Houle
Henri Lamoureux, L’action communautaire. Des pratiques en quête de sens, VLB, Montréal, 2007.
Le monde communautaire à l’heure de l’éthique
Essayiste, romancier, spécialiste de l’éthique et de l’intervention communautaire, Henri Lamoureux publie ici une analyse des plus récentes transformations touchant le milieu des organismes communautaires au Québec. D’entrée de jeu, le lecteur saura à quoi s’en tenir : l’auteur veut vérifier si ceux-ci maintiennent le cap sur ce qui justifie leur existence, c’est-à-dire « un cadre éthique reposant sur des valeurs humaines et sociales auxquelles ils cherchent à donner sens : solidarité, justice sociale, égalité, équité entre les personnes, démocratie, élargissement des droits et libertés… »
La réponse tombe raide : les organismes communautaires sont de plus en plus intégrés aux fonctionnalités de l’État même si, voire surtout, si la mission « providentielle » bat de l’aile. La réflexion de l’auteur se rythme au gré des titres de chapitre qui ne laissent aucun doute quant à la conversion des organismes communautaires. En effet, pour Lamoureux, les organismes tendent à jouer le rôle de gestionnaires de problématiques sociales, tout en s’inscrivant dans une plus forte professionnalisation ; les intervenants salariés du communautaire forment les nouveaux experts du social, la prestation de services devient une des raisons d’être des groupes, de là l’idée que le mouvement communautaire constitue une fonction publique parallèle. Il n’y a donc guère de surprise à conclure que les organismes communautaires encadrent le mécontentement social.
Sans être de la première fraîcheur, le constat n’est pourtant pas banal de la part d’un auteur que l’on peut considérer comme un ami, un accompagnateur de longue date des réseaux communautaires. On imagine mal pourtant qu’il se contente d’en décrire les maux. C’est ainsi que face à la vision caritative de l’action communautaire, complémentaire de l’État, et à l’approche de l’économie sociale, concurrentielle vis-à-vis de l’État et du secteur privé, Lamoureux identifie et privilégie une troisième tendance de l’action communautaire favorisant l’émancipation sociale, influencée par les courants socialistes et altermondialistes, qui revendique son autonomie face à l’État.
L’auteur propose un dialogue à trois de manière à distinguer leur identité propre comme leurs liens de parenté. Ce dialogue devrait s’inspirer d’une réflexion sur le contenu de l’action communautaire à partir de son enracinement historique et de ses fondements éthiques, à l’heure des mutations sociales actuelles. À l’évidence, ce dialogue à trois ne peut que donner la belle part au courant autonome et émancipateur de l’action communautaire, puisqu’il constitue l’axe qui a su, justement, maintenir son cap éthique.
Pourtant, les organismes qui carburent à l’action communautaire autonome ne parviennent pas forcément à s’affranchir de la pression de l’État. Il faudrait être plus explicite sur ce point : l’action communautaire autonome semble aveugle sur le fait que son autonomie revendiquée comme son projet d’émancipation sociale prennent appui sur l’État lui-même. Cet ancrage sans limites envers l’État s’inscrit, consciemment ou non, dans le projet social-démocrate qui, pourtant, n’en finit plus d’exposer ses apories. Et cela, sans oublier le fait que les fonctions mêmes de l’État sont métamorphosées dans le cadre du capitalisme contemporain.
Autrement dit, la réflexion peut avec difficulté se réaliser à partir du seul socle éthique, car les conditions sociales et historiques d’émergence de ce fondement éthique sont transformées de fond en comble. À moins de vouloir approfondir les finalités sociales de cette éthique à partir du contexte actuel, ce qui conduirait à des ruptures politiques considérables de la part des tenants de l’action communautaire autonome. Franchement, ces potentialités de rupture ne sont guère visibles aujourd’hui.