Une réforme champbête

No 025 - été 2008

Le rapport Pronovost sur l’avenir de l’agriculture au Québec

Une réforme champbête

par Isabelle Côté

Isabelle Côté

L’agriculture québécoise est en crise. Le rapport de la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire au Québec (le Rapport Pronovost), rendu public le 12 février dernier, propose certaines réformes que le milieu de l’agriculture paysanne attendait depuis longtemps. Mais d’un point de vue solidaire et écologiste, le rapport Pronovost est-il vraiment valable ? Procède-t-il, comme il le clame, du concept de souveraineté alimentaire ? Nous avons demandé à un agriculteur, une chercheuse et un militant écologiste ce qu’ils en pensent.

Les agriculteurs et agricultrices qui sourient sur la page couverture du rapport Pronovost ne laissent pas deviner l’ampleur de la crise agricole québécoise. Pourtant, plusieurs problèmes sont liés au modèle industriel dominant : pollution, pression au rendement causée par la mondialisation des marchés, baisse des revenus agricoles, manque de soutien aux petits producteurs et productrices, détresse psychologique. C’est à ces problèmes qu’a tenté de répondre le rapport Pronovost. Au programme : plus d’équité pour l’agriculture paysanne et un souci environnemental accru.

L’aide de l’État

Le rapport Pronovost recommande notamment une réforme de l’assurance stabilisation des revenus agricoles. Ouvert à 17 productions, ce programme d’aide à l’agriculture – le plus important au Québec – favorise les fermes de grande taille. Le rapport propose de le transformer en programme universel de soutien accessible à tous les types de production agricole. Selon Éric Proulx, propriétaire de la ferme-fromagerie Tourilli, cette recommandation est des plus rassembleuses : « Le programme actuel sert à financer beaucoup de pertes et favorise les grands intégrateurs… C’est comme si Bombar-dier pigeait dans la cagnotte d’Emploi Québec. » Éric Proulx voit aussi d’un bon œil la proposition de moduler les paiements selon certains critères comme l’agriculture biologique ou la nordicité : « Faire des céréales dans le Bas-du-Fleuve, ça coûte beaucoup plus cher qu’à Saint-Hyacinthe. » Ainsi, dans ce cas, les recommandations du rapport semblent relever du gros bon sens.

La mise en marché

Le développement de circuits courts de distribution fait également partie du grand plan Pronovost. Le commissaire recommande d’assouplir le système de mise en marché collective, encore une fois orienté vers l’agriculture productiviste, afin que les personnes vivant d’agriculture paysanne puissent conclure des ententes libres avec des détaillants locaux. Cela permettrait aux paysannes de vivre de leurs produits et de dynamiser la région. « Cette mesure pourrait favoriser la spécificité de nos terroirs », selon Éric Proulx, puisque « tous les petits agriculteurs vont pouvoir en profiter. »

On peut tout de même se demander s’il n’existe pas un effet pervers à l’assouplissement du système de mise en marché collective. Après tout, celui-ci protège notre agriculture en contrôlant l’offre et la demande. Par conséquent, la possibilité de conclure des offres en dehors de ce système n’ouvre-t-elle pas toute grande la porte au libre-marché ? Pour Éric Proulx, la mise en place de circuits courts de distribution ne menace pas pour l’instant la gestion de l’offre. Le producteur considère toutefois qu’un certain protectionnisme est nécessaire afin de protéger la production locale, surtout dans un contexte où plusieurs pays remettent en question les accords sur l’agriculture de l’OMC : « Il faut assouplir, oui, mais venir baliser le libre marché par d’autres mesures. On peut être pour le bien commun et rationnel sur le plan économique ! »

Et l’environnement dans tout ça ?

Le rapport Pronovost propose plusieurs mesures pour protéger l’environnement. Par exemple, on souhaite assujettir l’aide financière aux producteurs à des règles strictes d’écoconditionnalité, établir un plan de réduction des pesticides, etc. Ou encore, on désire tout mettre en œuvre pour une réelle gestion de l’eau par bassin versant afin de respecter la capacité du milieu. Certaines propositions qui concernent a priori d’autres secteurs peuvent aussi protéger les écosystèmes, comme le fait de favoriser une agriculture de proximité. Dans la mesure où elles sont correctement appliquées, ces mesures pourraient alléger l’empreinte environnementale exercée par l’agriculture. Cependant, certaines propositions du rapport semblent plutôt équivoques. Par exemple, on demande, d’un côté, une amélioration de la traçabilité des OGM, alors que, de l’autre, on clame que les biosciences constituent une voie d’avenir pour l’agriculture.

De la même manière, un flou subsiste autour de la production d’agrocarburants. Les biocarburants apparaissent comme un moyen de produire moins de gaz carbonique. Mais le commissaire Pronovost est conscient que la production d’éthanol à partir du maïs comporte ses désavantages : ce procédé peut nuire à l’environnement à cause de la déforestation, en plus de mettre en péril la souveraineté alimentaire des peuples. En outre, la montée en flèche du prix du pain nous rappelle chaque jour que la demande en céréales s’accroît. « Ça va à l’encontre de la souveraineté alimentaire », s’insurge Antoine Descendres, militant écologiste aux Amies de la Terre de Québec. La solution proposée dans le rapport est de produire des biocarburants de deuxième génération, à partir de résidus forestiers notamment. Mais nulle part on ne proscrit clairement la culture du maïs à des fins énergétiques.

D’autres enjeux sont beaucoup plus subtils. En ce qui concerne la réduction des gaz à effet de serre par exemple, on propose de capter le méthane pour en faire de l’électricité. Selon Antoine Descendres, « ça semble une bonne idée a priori. Le méthane est un gaz à effet de serre 21 fois plus puissant que le CO2. Si on composte le lisier de porc et qu’on capte le méthane produit, la combustion d’une molécule de ce gaz donne une molécule de CO2. Donc, on réduit considérablement l’effet nocif du méthane. Mais en proposant le captage du méthane, on ne remet pas en question l’agriculture industrielle. Il y a même un danger de devenir dépendant de ce système si son maintien garantit la production d’énergie ! »

Denise Proulx, chercheuse à la Chaire en éducation relative à l’environnement (UQÀM), émet pour sa part des réserves au chapitre du développement de la formation : « On ne sait pas si ces recommandations vont favoriser la pensée écologiste. Si l’on ne remet pas en question le mode industriel de production, comment faire une formation qui favorise une agriculture respectueuse de l’environnement et de la santé, plutôt que le rendement à tout prix ? » De plus, selon la chercheuse, la recherche et l’innovation ne garantissent pas une vision écologique : « Il faut se demander comment la recherche est financée. Si les multinationales développent des technologies, elles ne les donneront sûrement pas gratuitement ! »

Souveraineté alimentaire ou souveraineté des marchés ?

Du rapport Pronovost se dégage facilement le fil conducteur de l’économie. On souhaite développer l’expertise, devenir des chefs de file en matière d’exportation de produits différenciés, donner aux consommateurs ce qu’ils demandent, être compétitifs sur le libre marché. À ce compte, on peut se demander si le concept de souveraineté alimentaire, que le rapport veut faire sien, n’est pas galvaudé pour répondre à des préoccupations économiques. La souveraineté alimentaire ne se limite pas au droit des peuples de déterminer leurs politiques agricoles. Ce concept implique qu’il faut d’abord nourrir notre monde avec une nourriture saine, dans le respect de l’environnement et des savoirs locaux, en assurant un droit à la terre et un juste prix pour les aliments produits. Selon Denise Proulx, « la table est mise pour qu’on se dirige vers cette façon de faire. Mais le problème du rapport, c’est qu’on veut nous vendre l’idée que la souveraineté alimentaire peut se faire en maintenant une production industrielle. »

Dans cette foulée, la chercheuse doute fortement qu’il faille considérer l’agriculture biologique comme un créneau particulier. « L’agriculture biologique n’est pas un secteur comme le lait ou le bœuf ; c’est plutôt une philosophie qui devrait sous-tendre tous les secteurs de production. » La cantonner ainsi revient à cautionner l’existence de l’agriculture de type industriel. D’ailleurs, en aucun temps le rapport Pronovost ne propose de repenser la relation à la consommation alimentaire afin de favoriser une alimentation locale adaptée aux saisons. «  En fait, selon la chercheuse, nous sommes passés à côté d’une occasion d’être réellement avant-gardistes en étant les premiers à revendiquer une agriculture vraiment écologique. »

Éric Proulx est pour sa part plus favorable à l’angle privilégié par le rapport Pronovost. « C’est un choix stratégique. » Selon ce producteur, ce que le rapport propose, c’est de mettre l’agriculture paysanne sur le même pied que l’agriculture industrielle. Dès lors, il suffira de montrer quel type d’agriculture est plus intéressant sur le plan de l’environnement, de la multifonctionnalité, de l’occupation du territoire, du potentiel de relève agricole, etc. « Lorsqu’on aura démontré quelle agriculture est la plus efficace – et ce ne sera pas compliqué à démontrer –, cette dernière deviendra la voie de l’avenir ! »

Que mange-t-on en attendant que ça change ?

Maintenant que le Québec a dit ce qu’il avait à dire sur l’agriculture et que la commission a produit son rapport, le temps est venu de passer à l’action. Selon Éric Proulx, « la politique va bouger si l’opinion publique bouge. » Plusieurs lieux nous sont certainement ouverts : les marchés publics, le marché de solidarité régionale des Amies de la Terre (de Québec, de l’Estrie, etc.) ou l’agriculture soutenue par la communauté, entre autres. Mais il importe par-dessus tout de continuer à sensibiliser la population et à faire pression sur les élues. « Lorsque le mouvement sera assez important, la politique changera. » Peut-être même verrons-nous dans les prochaines années un mouvement regroupant des citoyennes de tous les horizons militant pour une agriculture locale et écologique.

Amies de la Terre de Québec

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