Pas vu à télé
Souriez vous êtes filmés
par Nesrine Bessaïh
Depuis près d’une quinzaine d’années, l’association Souriez vous êtes filmées s’attaque à la recrudescence des techniques de surveillance de la population en France et en Europe. L’association dénonce et documente les multiples stratégies de contrôle mises en place dans les lieux publics et dans les systèmes de santé, d’éducation et de transport des voyageurs, des caméras de vidéo-surveillance aux fiches biométriques. Elle affirme que les gouvernements et les compagnies privées invoquent faussement la facilité ou la sécurité afin d’instaurer des mesures de surveillance de plus en plus intrusives. Elle propose également des actions de résistance pour défendre les droits à la vie privée, à la présomption d’innocence et à la liberté d’action.
Sur leur site Internet, vous êtes par exemple invitées à « Parrainer le baguage d’une caméra » de vidéo-surveillance. Grâce à votre don, une caméra sera identifiée par une bague parce que baguer les caméras, « c’est leur redonner une visibilité, tout en sensibilisant la population à la nature de ces oiseaux-là ». Votre don servira aussi à poser une plaque qui informe les passants que « sont considérés comme comportements hors normes [le fait de] rester immobile pendant plus de trois minutes ou d’aller à contre-sens. » L’association produira et mettra à la disposition de toutes une carte où sont identifiées toutes les caméras de surveillance baguées.
Avec d’autres associations de citoyennes, Souriez vous êtes filmées organise depuis huit ans les Big Brother Awards qui priment chaque année les ministres, fonctionnaires, dirigeants d’entreprises ou de syndicats ayant prouvé leur habileté à « bafouer la vie privée et à promouvoir les outils de contrôle social ». Ainsi, avant même d’étre élu à la présidence, Nicolas Sarkozy avait déjà reçu deux fois le prix « Orwell pour l’ensemble de son œuvre » : une fois en 2004 pour l’expansion du FNAEG (Fichier national automatisé des empreintes génétiques) et une autre fois en 2005 pour sa loi antiterroriste. Le FNAEG permet à la police de prélever des échantillons de cellules par simple frottement de l’intérieur de la joue sur des condamnés mais aussi sur des prévenus et même sur de simples suspects ! Alors que le FNAEG était initialement conçu pour les seuls criminels sexuels, Sarkozy l’a élargi à tous les crimes d’atteinte aux biens et aux personnes comme un outrage à un agent, un graffiti ou la consommation de marijuana.
Pour encourager les bonnes initiatives, les Big Brother Awards attribuent également les Prix Voltaire de la vigilance. En 2006, ce prix a été remis à la quinzaine de directeurs d’écoles primaires qui ont refusé de remplir les informations requises par le fichier « Base-Élève », voué à ficher les enfants de trois à dix ans et actuellement à l’essai dans quelques régions de France. Ces directeurs risquent la suspension de leur salaire et la destitution de leurs fonctions.
Le site de Souriez-vous êtes filmées fonctionne comme un blogue où chaque individu ou regroupement de citoyennes peut diffuser des informations sur des actions locales. On peut y suivre entre autres les démarches de travailleurs sociaux qui ont refusé de remplir les fiches d’information individuelles à caractère privé sur les bénéficiaires du RMI (équivalent de l’aide sociale). Ou encore les points de rencontre d’un collectif qui s’insurge contre les passes Navigo utilisées par la société de transport parisienne : des cartes à puce qui permettent de savoir qui passe où et quand (la nouvelle carte OPUS proposée par la STM à Montréal serait-elle un prélude à une passe de type Navigo ?).
On y apprend aussi la victoire du collectif « Ploërmel sans vidéo » : un groupe de citoyennes qui s’est mobilisé pour dénoncer l’installation de plus de 50 caméras de vidéo-surveillance dans leur commune de 9 000 habitants. Un tribunal administratif a décrété qu’étant donné l’absence de criminalité dans la ville de Ploërmel, le maire ne pouvait justifier l’installation des caméras.